Et c'est ainsi que Brion, petite commune d'environ 500 habitants située dans la région naturelle de la champagne berrichonne, en plein centre de la France, fut mise en quarantaine par un arrêté national. Le Président de la République fit même une allocution en direct du journal de 20 heures pour annoncer cet événement rarissime. Non pas qu'il y avait danger, non, la situation était sous contrôle, croix de bois, croix de fer, si je mens... Après avoir craché sur le sous-main de son bureau, le Président ajouta que c'était une simple mesure de précaution face à une situation, comment dire, euh, exceptionnelle. Après, il annonça la météo du jour et le film du soir et puis s'en fut.
Le fait est que le gouvernement avait mis le paquet. La sûreté national, on rigole pas avec ! La glorieuse armée française avait été mobilisée. Le village était encerclé littéralement par 2000 hommes en treillis sous le commandement de deux généraux en retraite. En temps de paix, les généraux sont toujours en retraite, c'est comme ça. Spécificité française ça s'appelle. Mais pas que. Pour contenir la population avaient été aussi disposés : 10 véhicules blindés légers dotés de canon de 90mm (car la taille ça compte quand on fait la guerre), 5 véhicules blindés de combat de l'infanterie (pouvant transporter jusqu'à 10 hommes dont 1 chef, c'est dire la place qu'il y a), 28 véhicules P4 Peugeot (là, c'était plus pour faire tourner les véhicules que par réelle utilité), 4 chars AMX-10P amphibies (il fallait pourvoir à toutes les éventualités), 30 chars Édouard Leclerc (en promotion cette semaine en tête de gondole dans tous vos extramarchés!) et 60 véhicules dépanneurs de chars Leclerc (car il en faut deux pour pouvoir en réparer un). Et, au cas où ça se gâterait, on avait aussi prévu 3 lance roquettes multiples à tête pivotante et trois lames pour un rasage au plus près, 2 mortiers rayés (encore sous garantie heureusement) tractés de 120mm, 6 Mistral, mais si, vous voyez bien ce que c'est, là, ce système d'arme sol-air à très courte portée destiné à compléter la couverture sol-air du corps blindé et mécanisé (source : www.defense.gouv.fr). Si on ajoute à cela 1800 bites (certains étant des femmes et d'autres des couilles molles) et à peu près autant de couteaux, on peut dire que la zone était dûment sécurisée.
La médiatisation du petit village brionnais avait eu un autre effet, de mode celui-là. Les magasins de bricolage avait vu leurs ventes de haches se multiplier par 20 et, un peu partout en France, des individus, moutons bêlants, avaient remplacé leur sacoche ou leur sac à main par une hache rutilante. Là, une nouvelle star éphémère de la chanson assurait son concert avec une cognée sur l'épaule. Ici, les magasines féminins égrainaient leurs pages consacrées à la mode de mannequins anémiques posant à côté d'une hache retouchée par les plus grands créateurs. Ailleurs, des spécialistes en tout et rien glosaient à longueur de média sur l'histoire, la vie et l’œuvre de la lame tranchante à travers les siècles et sur sa puissante symbolique dans le contexte social et économique actuel. Bref, et comme c'était souvent le cas lors d'une surexposition médiatique, c'était du grand n'importe quoi.
Un qui n'en menait pas large dans cette histoire, c'était le conconmissaire Naze. Il avait demandé de pouvoir quitter ce village de cinglés. Le Ministre de l'Intérieur lui-même était venu lui dire que cela était rigoureusement impossible pour les raisons suivantes : il fallait garder un homme de l'extérieur à l'intérieur pour pouvoir informer l'extérieur de ce qui se passait à l'intérieur. Et puis aussi que rien n'assurait que le commissaire Naze n'était pas de mèche avec ce qui se tramait dans la commune. Que dans toute guerre, il fallait faire des sacrifices. Qu'il serait décoré, je le jure à mort, de la croix de guerre et de la légion d'honneur à titre posthume. Que, de toute façon, personne n'en avait rien à foutre d'un petit fonctionnaire de police tel que lui.
Un autre qui, lui, buvait du petit lait de cette situation, c'était le maire de Brion. L'Histoire retiendrait que c'était sous son mandat que le village avait rayonné sur l'ensemble de la France. Peu importe que ce soit en mal ou en bien. Il était par ailleurs tellement sollicité par les médias qu'il avait dû embaucher en urgence une secrétaire rien que pour ses rendez-vous. On lui envoya une jeune femme congolaise à peine débarquée sur le territoire. Elle apprit le français en trois heures. Son métier en deux. Elle fut retrouvée tranchée en deux dans le sens de la longueur quatre heures après sa prise de poste. Alors le maire convoqua tous les médias. Et ils se précipitèrent. On monta une estrade et un pupitre de fortune à l'entrée du village. On installa un périmètre de sécurité. On entassa militaires et journalistes dans ce carré improvisé. Et le maire vint avec sa hache dans une main et son discours dans l'autre. Il était accompagné par Gaston qui, lui tenait son instrument contondant sur l'épaule. Il était tâché de sang frais et des lambeaux de ce qui fut visiblement un boubou étaient encore accrochés à la lame. Alors les deux gommes s'installèrent derrière le pupitre. Alors les caméras et les micros se déclenchèrent simultanément. Alors le maire toussa solennellement. Et il prit la parole avec, tu l'as bien deviné, gravité.
LE MAIRE : Chers cons de citoyens, chères connes de citoyennes, peuple de France, l'heure est grave. Il semblerait que notre modeste localité soit actuellement l'objet de toutes les attentions. Sachez que, à titre personnel et en aparté de moi-même, je m'en félicite. Car, oui, notre commune est un de ces précieux écrins qui renferment les plus beaux vestiges de notre glorieux patrimoine culturel dont notre église n'est pas la moindre de notre fierté, sans parler de notre célèbre quoique local château des Chapelles. Dois-je évoquer également notre école devenue un authentique musée ainsi que notre boulange...
GASTON : T'es chiant, là. C'est pas ce qu'ils veulent les corbeaux. Z'ont en rien à cirer de ton patrimoine de mon cul. Va au fait, empaffé !
LE MAIRE : L'heure est grave, disais-je donc. Car, oui, attendez, je regarde... bon, il est 16h23. C'est pas que ce soit une heure plus grave qu'une autre, remarquez. Tenez, si je prends une heure comme 18h15, eh bien, elle n'est pas plus grave que l'heure actuelle. Il s'agit plus d'une expression qu'autre chose..
GASTON : Putain, t'es vraiment con quand tu t'y mets ! Le problème c'est que tu t'y mets souvent, 'spèce d'emmanché ! Pousse-toi de là que je m'y positionne. Bon. Ce que mon maire veut dire, c'est que y'a pas péril en la demeure. Que vous êtes tellement tous affamés que la moindre info croustillante vous fait godiller comme des pendus ! Mais c'est votre job de fouilleurs de poubelle qui veut ça, je juge pas, n'en parlons plus. Non, ce qu'on voulait vous dire, c'est qu'on en a un peu marre de n'être qu'entre couilles nous autres les Brionnais. C'est pour ça que mon con de maire ici vaguement présent à eu l'idée après que je la lui ai donné, d'organiser une grande manifestation dans not'patelin de merde. Une foire aux femmes, rien de moins ! On profite de la parole qui nous est donnée pour faire un appel à toutes les fumelles célibateuses de France et mêmes toutes celles qui sont maquées mais qui voudraient infidéliser leur cocu de venir à Brion dimanche prochain sur la place du champ de foire. Elles auront ainsi l'occasion désespérée de choisir entre divers mâles de grande qualité rurale dont certains que je tairai le nom parce que j'ai ma pudeur et que je sais rester modeste sont montés comme des bourricots ! Alors, mesdames les affolées du frifri, venez nombreuses ! Nous z'autres, Brionnais, allons vous dépoussiérer le gourbi en moins de !
Ainsi s'exprima le maire. Avec l'aide notable d'un de ses administrés. La suite se termina dans un brouhaha total, tous les journalistes présents interloqués posant mille questions en même temps, se poussant les uns les autres, se mordant, se piétinant, se disant des mots qui fâchent, même, parfois. Pendant que Gaston et le maire s'en retournaient dans leur zone de quarantaine, l'un fier de son effet, l'autre fier de s'être simplement montré.
Pendant ce temps, Benoît n'en pouvait plus. Ses pratiques masturbatoires le fatiguaient beaucoup. Mais qu'il se soulage dix ou vingt fois par jour, une chose ne changeait pas : son membre viril (comme on dit dans la littérature propre sur elle) se dressait toujours de façon vigoureuse quoique arborant une teinte rougeâtre de plus en plus prononcée. Sans parler de ses poignets ankylosés à force de répéter les mêmes mouvements. Il développait à coup sûr une sorte de variation du syndrome du canal carpien, fréquent chez les secrétaires tapant sans cesse sur le clavier de leur ordinateur ou chez certains écrivains berrichons. Vous verriez mon co-auteur, c'est plus des mains qu'il a mais des griffes à force d'à force ! Pour Benoît, il n'y avait qu'une seule solution : trouver une fille, étant peu porté naturellement sur le même sexe que lui. Il décida donc d'attendre la nuit prochaine pour tenter de quitter le village. Il lui restait quelques heures à tuer auparavant. Et à peu près autant de branlettes.
De son côté, Naze s'était réfugié dans sa voiture. Il n'en sortait que pour manger, fumer, se soulager. Il voyait vivre le village comme si de rien n'était. Aucun signe de violence apparent. Mais il sentait cette ambiance, lourde comme du plomb, cette atmosphère tendue. Et il se préparait au pire. Parce qu'il savait bien que c'était ce qui allait arriver.