Règlement à l'amiable (qu'on croit)
L'amiable est un mode de règlement qui peut sembler pratique à première vue. On a tué son voisin, par exemple, dans un moment d'agacement, on prend le cadavre sur son dos, on frappe chez sa voisine, elle ouvre, on lui dit :
- Bonjour voisine, j'ai tué le voisin, votre homme je suppose, celui qui est toujours fourré avec vous, je vous rapporte le cadavre, vu que j'en ai pas l'usage à la maison, je viens pour le règlement à l'amiable.
Tout de suite on voit que ça va pas être facile. La voisine, elle tire une gueule longue comme ça, on voit qu'elle cherche dans sa tête, une combine, un truc, pour que ça s'arrange pas à l'amiable, justement. Et puis finalement, elle trouve :
- Je vous comprends bien, voisin, seulement le cadavre, vous le rapportez, bon, seulement ça sert plus à rien, c'est trop tard, il fallait le rapporter vivant...
- Je l'ai tué, je peux pas le ramener vivant...
- Oui je comprends bien, voisin, seulement, il y a l'assurance. Faut prouver!
Et ça y est, elle tient son os, elle le lâche plus :
- Prouver quoi ?... qu'il est mort ?...
- Non... prouver que je l'ai pas tué, l'assurance elle les lâche pas comme ça...
- Oui, mais avec les flics ça va pas être marrant, ils vont venir, le mesurer en long, en large, le peser, lui prélever un morceau de cerveau, peut-être l'autopsier... sur la moquette...
- Oui oui, je sais, mais ça se passe pas ici, c'est pas salissant pour la maison, surtout que vous l'avez eu proprement à ce que je vois...
- Un coup de pelle au travers de la gueule... comme en 14 ! seulement en 14, on m'aurait décoré pour ça. Vous vous appelez Hinterman, vous êtes allemands tous les deux, bon, c'est pas un crime, c'est un acte de guerre... ça s'inscrit dans le cadre de la rivalité traditionnelle entre la France et l'Empire allemand, c'est des choses qui nous dépassent... l'Histoire, avec majuscule, pas les histoires au pluriel...
Vous êtes là, elle vous a toujours pas dit de poser le cadavre. Vous suez. Vous êtes tout rouge. Vous essayez autre chose :
- Et puis ils vont vous demander pour les amants, le nom exact, la profession, et celui que vous préférez... peut-être les flics vont vous violer, ça se fait couramment, ils disent c'est pour la douche... la douche, tiens! je les connais... j'ai vu ça dans le journal l'autre jour... et puis l'autre voisin qui voulait coucher avec vous et que vous avez pas voulu, je me demande pourquoi d'ailleurs, il est pas plus moche que le petit trou du cul qui passe pour les compteurs... il va en profiter, il va dire que vous l'avez trucidé, votre bonhomme, moi, par le fait je serai obligé de l'approuver... vous finirez en Maison Centrale, à Rennes sûrement !... Rennes, c'est en Ille-et-Vilaine, le chef-lieu, mais ça change rien... la Bretagne, vous connaissez pas, il pleut sans arrêt, un truc dégueulasse en plus, comme si on vous crachait dessus tout le temps, d'ailleurs ils appellent ça le crachin... un glaviot, quoi... ah ça va vous en faire des histoires, il vaut mieux qu'on s'arrange à l'amiable...
- C'est rapport à l'assurance je vous dis...
- Je dirai qu'il est tombé sur la pelle, que c'est pas du tout comme en 14, et que je savais même pas que vous étiez allemands... je demanderai pas à être décoré...
Seulement, elle chipote, ah c'est pas facile les arrangements à l'amiable, voilà ce que signifie cette galante historiette qui fait un peu penser à Boccace.
Un peu seulement, parce que la guerre de 14, je sens bien que c'est déplacé, mais c'est l'image qui compte, la métaphore pour illustrer une idée simple : l'arrangement à l'amiable, c'est pas du gâteau !
Pourtant, c'est à cela qu'il faut en venir.
Mais d'abord que chacun en finisse avec ces scènes indécentes. Que l'ordre revienne dans le canton de Marouillat et après on pourra s'asseoir autour d'une table et dialoguer. Voilà pourquoi j'interviens, assez noblement je dois dire :
- Cher Directeur, Cher pensionnaire, Chère Nichonina, les temps sont venus de nous mettre d'accord sur un consensus qui règlera cette étonnante mais bien intéressante affaire, qui est appelée à de grands retentissements, étant donné l'originalité de la méthode employée pour résoudre à la fois la question du troisième âge, le problème du tourisme creusois et la conservation du patrimoine.
Relevons-nous donc tous et retrouvons des attitudes dignes. Je vous propose, Nichonina, de rabaisser votre superbe robe au niveau habituel, de vous requinquer un peu, d'abandonner tout ce matériel, et vous nous rejoindrez avec vos camarades initiatrices de cette intéressante idée, dans la salle de réunion de l'Eternel Repos. Vous, brave Coloniau, si vous le permettez, et si je puis m'adresser humblement à un ancien qui a maintenu contre vents et marées...
- J'sommes point z'allés aux morues, Monsieur!
- Ne vous sentez pas insulté, vieillard noble, à qui nous devons le maintien de la civilisation occidentale, en dépit des nègres, des afro-cubains, des Tchétchènes, des Tutsis et des Hutus, des Boches, des Macaronis, des Bretons et de quelques autres... mais peut-être, pour que la réunion acquière une dimension vraiment historique, peut-être serait-il souhaitable que vous réparassiez cette coulée jaunâtre qui s'est faite malgré vous sur votre pourtant fort élégant pantalon. Quant à nous, Arnesse, nous allons préparer la salle de réunion n°1, celle qui est équipée de rétroprojecteurs, de trois magnétoscopes avec l'écran géant et la sono à faire trembler le département 23 jusques et y compris sur son socle hercynien. Ah croyez-moi, il va s'en passer des choses, dans ce petit roman anti-policier, le premier du genre à ma connaissance.
Et je ne laisse pas de croire que la face du monde des vieux en va être bouleversée, dans un sens positif, il va de soi. Chers amis, nous sommes à la veille de très grandes choses, que nous allons réaliser à l'amiable, et l'univers entier aura les yeux tournés vers Marouillat le Marneux et son canton. Nous serons un modèle pour l'univers entier, oui, et peut-être davantage.
J'avais causé.
Ils n'avaient pas d'objection sérieuse à m'opposer. La belle infirmière me fit un sourire qui en disait long, l'Eugène en fit un autre qui en disait encore plus long, au moins 30 centimètres, et Arnesse lui-même exprimait sur son visage radieux tout le bonheur de quelqu'un qui a certes commis des erreurs dans sa vie, comme braquer la Banque de France et le Crédit Agricole à trente trois reprises, notamment, mais "errare humanum est" comme disait Ignace pas celui de Fernandel mais celui de Loyola, Fondateur de la Compagnie de Jésus, qui avait été à la tête d'une bande de gangsters encore plus redoutable que celle d’Arnesse, et donc, disais-je, Arnesse exprimait le bonheur qu'éprouve tout homme à réparer ses fautes passées et à travailler enfin pour le bien de l'humanité, cette belle humanité à qui nous devons l'invention de la massue, du cran d'arrêt, de la catapulte, de l'écartèlement avec chevaux, de la décapitation à la hache, de la bombe à billes, de la baïonnette à éventrer, du missile nucléaire, et même de la brosse à dents et de la chasse d'eau, humbles instruments de la vie quotidienne sans lesquels toutefois les odeurs ne seraient pas les mêmes sur cette belle planète.
Et voilà, nous partons, fièrement, en direction de l'Eternel Repos. Nichonina devant, pour que nous puissions profiter du paysage, le Coloniau derrière, fermant la marche et assurant nos arrières, Arnesse et moi sur la même ligne, de front, ah voilà une petite troupe qui a de l'allure.
Et celui qui nous eût vu à ce moment, progressant noblement vers le lieu de nobles actions humanitaires, celui-là eût été fichtrement impressionné par la grandeur du spectacle.
Malheureusement il n'y avait personne, comme il arrive souvent dans les bois, dans la Creuse, dans ces circonstances.
Eh bien tant pis, on se passera de témoins ! On a notre conscience pour nous !