Des initiatives variées sont engagées en diverses communes visant à recruter des volontaires à qui serait confiée la mission d’avertir les autorités dès qu’ils constatent un comportement “anormal” dans leurs quartiers. Quelle que soit l’expression utilisée pour les désigner – référent de quartier, référent de sécurité, voisin vigilant ... – il s’agit d’inviter des citoyens sélectionnés à s’engager aux côtés de la gendarmerie ou de la police. La mise en place d’un tel système à l’échelle communale est souvent encouragée par des responsables de la gendarmerie ou de la police nationale. Ceux-ci, oubliant que c’est à eux, et souriez, les référents vous surveillent incitent les maires et les élus locaux à apporter leur caution à cette dérive sécuritaire.
Au-delà d’une institutionnalisation de la délation, il faut voir dans la mise en place d’un réseau
communal de référents une atteinte aux libertés individuelles et à la vie privée – voir le
communiqué repris plus bas. Mais le danger réside également dans l’accoutumance – comme pour
la vidéo-surveillance, on habitue la population à être surveillée – et dans l’acceptation de ces
pratiques par les citoyens .
Ci-dessous : quelques exemples illustrant des situations moins extravagantes que celle de La Crau
(Var) dont le maire a constitué une liste de 200 référents anonymes chargés de l’informer
personnellement.
Aujargues (Gard) – 673 habitants
Extrait du dossier de presse de la préfecture :
Signature de la convention « voisins vigilants » entre la Gendarmerie #ationale et la mairie
d’Aujargues
Mercredi 23 juin à 12 heures, le Préfet du Gard, Hugues Bousiges, le Procureur de la République de
Nîmes, Robert Gelli et le maire d’Aujargues, Guy Lamadie ont signé la convention « voisins vigilants » afin de faciliter l’action de la gendarmerie en lui permettant d’intervenir plus rapidement grâce à un réseau de voisins référents volontaires.
Il s’agit de la 1ère convention de ce type signée en France en zone gendarmerie. Le dispositif s’appuie sur des voisins référents qui alertent la gendarmerie de tout événement suspect ou de tout fait de nature à troubler la sécurité des personnes et des biens dont ils seraient les témoins.
Avec l’accord du Procureur de la République, le Maire peut implanter aux entrées de lotissements,
quartiers et rues participant à l’opération une signalétique pour informer les personnes mal intentionnées qu’elles pénètrent dans un domaine où les résidents sont particulièrement vigilants et signalent aux forces de sécurité toute situation qu’ils jugent anormale.
Châteaurenard (Bouches du Rhône) – 15 000 h
En juin 2009, la municipalité décide de relancer les « référents de quartier » : six élus seront « les relais privilégiés entre la population et la mairie ».
Le 23 Décembre 2010, le député-maire UMP de Châteaurenard, Bernard Reynès a remis au premier ministre un rapport sur « L’application de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ». Après une étude de 5 pages consacrée au vote Front National depuis 2007 à Châteaurenard, le député-maire propose de créer dans les communes de plus de 10000 habitants des cellules de citoyenneté et de tranquillité publique" (CCTP).
Meaux (Seine et Marne) – 50 000 h
Vendredi 12 septembre 2008, Jean-François Copé, député-maire UMP de Meaux, a présidé la réunion
solennelle de lancement du dispositif des « référents de proximité ».
La commune de Meaux a mis en place un réseau de 169 référents de proximité. Chacun d’entre eux
dispose d’une page personnelle sur le site Internet de la ville et dispose d’un « numéro de téléphone direct
auprès du Cabinet du Maire qui prendra ainsi directement note [des] demandes et informations » [3].
D’après un bilan mis en ligne le 1er décembre 2009, en un an, ces référents auraient fait remonter 1328
« demandes » dont 107 ont été redirigées vers la police municipale...
Expérimentation d’un dispositif de « participation citoyenne » dans le
Haut-Rhin, en novembre 2010
Objectif affiché dans la présentation officielle de l’expérimentation par la préfecture du Haut-Rhin :
« développer l’esprit civique des administrés » et « constituer une chaîne d’alerte entre le référent de
quartier (représentant des riverains et interlocuteur privilégié) et les acteurs de la sécurité (Gendarmerie
et police municipale) ».
Ci-dessous deux articles publiés le 7 novembre 2010, dans L’Alsace, où de Luc Marck rend compte de
l’expérimentation, et de son échec à Soultz.
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Le Haut-Rhin expérimente la surveillance par les voisins
Plusieurs communes servent de banc d’essai au dispositif « participation citoyenne ». Mais, à Soultz,
la première tentative a tourné court.
Soultz est la première des communes haut-rhinoises à avoir signé, avec la sous-préfecture et la
gendarmerie, une convention pour la mise en place du dispositif « participation citoyenne ». Objectif :
développer des réseaux de citoyens, en liaison avec la gendarmerie et la mairie, afin d’éliminer tout ce
qui peut nuire à la tranquillité des riverains : cambrioleurs, vandales, chauffards, etc. Le tout, sur le
modèle anglo-saxon.
Soultz était également la première commune à organiser, vendredi soir, une réunion publique avec les
habitants du premier quartier retenu. Du coup, la soirée, à la Halle aux blés, avait valeur de lancement de
l’opération.
La réunion est annulée, faute de participants
Mais, à 19 h 45, trois quarts d’heure après l’heure H, sur les 66 familles du Nouveau Monde, l’un des
plus récents quartiers pavillonnaires de la commune, seul un couple avait fait le déplacement ! Malgré les
courriers adressés à tous les habitants.
Du coup, on pouvait se dire qu’il aurait été plus avisé de circonscrire l’expérience au centre-ville où, une
semaine avant, deux vitrines et une demi-douzaine de véhicules venaient d’être vandalisés : là, les
habitants seraient peut-être venus (à noter que le coupable a été arrêté depuis)…
Ou encore, que les riverains du Nouveau Monde se sentent peut-être suffisamment rassurés par la
présence, à Soultz, de deux brigades de gendarmerie, du siège des brigades vertes, d’une police
municipale (armée) et de la vidéo-surveillance — même si une partie de ces dispositifs n’a pas vocation
à se déployer localement — pour ne pas être tentés d’apporter leur contribution à « la démultiplication
de l’action de la gendarmerie ».
Les élus, le maire Thomas Birgaentzlé en tête, et le sous-préfet de Guebwiller Arthur Soêne, ont en tout
cas pris acte de la désaffection du public. Les gendarmes ont remballé projecteur et exposés. Et les trois
parties ont convenu d’annuler. Mais pas sans que le sous-préfet n’ait rappelé qu’une telle innovation est « majeure, pour la protection de l’environnement du citoyen, de ses biens et de son entourage ». Et
aussi cette évidence : « Sans la participation des citoyens, tous nos efforts ne sont rien. »
Vu les circonstances, Gérald et Augusta Mielle, seuls représentants de leur quartier, ont été les « héros »
involontaires de la soirée, chaleureusement félicités « pour [leur] civisme » par le sous-préfet. Ce dernier
n’a d’ailleurs pas manqué de les solliciter pour un rôle de référents. M.Mielle a décliné, invoquant des
obligations professionnelles : « C’est une mission, a-t-il fait valoir, et il faut être en capacité de la
mener ». En aparté, il confie que « des voisins retraités seraient mieux à même de le faire ». D’autant
que « certains sont déjà impliqués dans la vie associative ».
En tout cas, le sous-préfet estime n’avoir « pas encore perdu la manche », tandis que le maire envisage
de « passer de maison en maison pour comprendre pourquoi les gens ne sont pas venus ».
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Signaler les présences suspectes
C’est en zone gendarmerie que l’expérience est tentée, avec l’appui des polices municipales.
Avant le Haut-Rhin, le dispositif « participation citoyenne » a déjà été expérimenté dans les Alpes-
Maritimes, le Loir-et-Cher, le Nord, la Drôme, l’Hérault et l’Allier. Visant à mobiliser la vigilance des
habitants sur leur propre sécurité, il consiste essentiellement à signaler « présences suspectes ou
agissements douteux de personnes étrangères aux lieux », afin de « mettre en place des contrôles
orientés ou des services de surveillance générale ». Le tout en liaison avec la gendarmerie, la police
municipale et la mairie et en faisant du « référent de quartier désigné par ses pairs, le maire et les
forces de sécurité », une pièce maîtresse du dispositif.
L’exemple soultzien démontre à l’envi qu’il faudra d’abord vérifier que l’idée correspond bien à un
besoin et que les quartiers retenus sont bien ceux dont parle le texte de référence : « Particulièrement
visés par les délits d’appropriation (vols, cambriolages). »
La proximité de la RN 83
A Soultz, en marge de la réunion avortée, un officier a surtout évoqué des potentialités, plus que des faits
ou des chiffres : la proximité de la RN 83 (à partir du carrefour du… Nouveau Monde), propice à la fuite
rapide des malfaiteurs, et l’attrait d’un lotissement aux maisons neuves, évocatrices de butins intéressants.
Resteront ensuite toutes les questions de nature à nourrir un débat plus politique, qu’elles aient trait au
respect de la liberté individuelle et de la vie privée, éventuellement écornées par une surveillance de
proximité érigée en système, ou à la couverture légale des membres du réseau, voire au bon sens, qui
enseigne que l’esprit civique et d’entraide n’a pas attendu ce dispositif pour animer certains esprits.
Le Parti de Gauche alerte les citoyens ...
Les « voisins vigilants » : le début d’un système de délation généralisé
par Franck Pupunat, Parti de Gauche, 18 Octobre 2010
Le climat délétère instauré par le gouvernement vient d’accoucher d’une nouvelle aberration.
Plusieurs dizaines de villes en France viennent de mettre en place le système de « Voisins Vigilants » sur
le modèle anglais « neighbourhood watch ». Des voisins zélés s’inscrivent auprès de la gendarmerie pour
devenir « référents » et noter ce qui leur semble anormal : numéro d’immatriculation de voitures
« suspectes », code vestimentaire et descriptions de visiteurs, etc....Les « voisins vigilants », structurés en
réseau de façon hiérarchisée, ont pour mission de rapporter chaque détail « anormal » à la gendarmerie.
En clair, nous assistons à la mise en place progressive et sournoise d’un réseau de délation généralisé où
tout le monde surveille tout le monde, où le soupçon l’emporte d’emblée sur la bienveillance. Comble du
mauvais goût, les villes et quartiers qui mettent en place ce dispositif le revendiquent en l’indiquant par
un panneau de signalisation représentant « un oeil vigilant ».
La mise en place de milices de quartiers n’est pas loin...
Précisons que ce dispositif est d’autant plus inquiétant qu’il n’a pas de fondement légal et n’offre donc pas
de voie de recours aux citoyens.
Alain Bocquet a déposé en janvier dernier une demande d’enquête parlementaire sur le concept « voisins
vigilants » afin de vérifier sa conformité à la loi et à la Constitution.
Aucun examen n’est envisagé.
Le Parti de Gauche demande que cette enquête soit enfin mise à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale
et alerte les citoyens pour que chacun se mobilise contre cette opération qui fait honte à notre République.
[1] Extrait du dossier de presse http://www.gard.pref.gouv.fr/sectio...
[2] Le rapport de Bernard Reynès : http://lesrapports.ladocumentationf...
[3] Référence : http://www.ville-meaux.fr/-Referent...
[4] Référence http://www.ville-meaux.fr/IMG/pdf/d...