Mon grand père aimait raconter ses souvenirs de guerre, le soir à la veillée, en cassant des noix pour fabriquer de l’huile de noix. S’il avait voulu de l’huile de colza, il aurait cassé du colza, ah ! Les vieux étaient malins à l’époque.
Il disait que la guerre de 40, c’était rien du tout, (« peau de zébie » exactement) comparée aux autres. Je m’en souviens très bien parce que c’était en 1943, on était à la campagne et il y avait des maquisards partout, qui luttaient contre le fascisme. C’était impossible de trouver un habitant du village qu’était pas maquisard !... D’ailleurs, même les éclopés, au lieu de faire ricaner les foules aux Jeux Olympiques comme maintenant, s’engageaient dans les services de renseignements pour donner des tuyaux (pas des vrais tuyaux, ils étaient affaiblis par le rationnement, l’âge, les excès, et sapés comme des cochons.)
Lubriques, parfois, ils soulevaient les jupes des cuisinières avec leurs cannes, et quand ils en attrapaient une, elle passait à la casserole ! Mon grand père appelait mon autre grand père, (à l’époque on n’avait droit qu’à deux, l’élevage de grands pères en bocaux était interdit !) et il disait : « J’en tiens une !...si tu veux en profiter aussi !...je l’ai essayée, elle est à point !... »
Et ça ne les empêchait pas de raconter des histoires pour l’édification des enfants ! Mon grand père commençait toujours ainsi :
« Baisse un peu l’abat jour ! C’est le couvre feu ! La Wehrmacht nous surveille »
Il passait vite sur la guerre de 14-18, il disait qu’en dehors des malappris qui montraient leurs tripes en plein soleil avec des mouches autour, en dehors de ceux qu’avaient une jambe arrachée et qui pendait dans un arbre, et de ceux qui gueulaient trop fort que ça leur faisait mal de voir ces intestins trop grêles étalés de ci de là, c’était mal poli de pleurnicher pour rien !
Toute l’assistance était là, l’oreille aux aguets ! « Ah vous en avez eu, de la chance de voir tant et tant de gens massacrés en même temps et tellement de sang répandu pour fertiliser les champs !...Mon autre grand père, qui avait fait aussi 14-18, rectifiait plus noblement : « …abreuver nos sillons ! » Et puis des os, pour reconstituer des squelettes, c’était très pédagogique ! Avec les vertèbres, c’était facile d’apprendre à compter !...
Mon grand père avait fait la bataille de Bouvines. A l’époque, 1214, le chemin de fer n’était pas inventé, les combattants qu’on appelait des Chevaliers, arrivaient à cheval ! Parfois de très loin… Ils étaient habillés avec des bidons de laitier. Revoyez « Excalibur », le film. Dans ma région ils attendaient à la gare de Sainte Lizaigne (36130). Ils attendaient qu’on invente le train, les rails, le ballast, et tout ce qui va avec.
A Bouvines, la bataille avait lieu un dimanche, ce qui est contraire aux bonnes mœurs, mais c’était payé en heures supplémentaires. Et avec une autorisation du pape, on n’était pas excommunié ! Les Chevaliers baisaient pieusement les femmes qui travaillaient à étendre du linge, à donner du grain aux poules ou de la pâtée aux cochons.
Et au boulot !
Ca se passait dans un tout petit champ, mais Georges Duby dit que ça n’enlevait aucune valeur à la vaillance des soldats !
Il y avait des belles haumières, installées sur des gradins, qui avaient des yeux exorbités mais mon grand père était envahi d’un sentiment de noblesse, et le mot « exorbités » ne le poussait pas à sortir la sienne ! D’ailleurs sa braguette était en tôle !
N’empêche qu’il en avait abattu, des Otton !
Otton, c’était l’ennemi ! Il (mon grand père) avait obtenu de Philippe Auguste la Médaille d’or des tueurs d’Otton. On la conserve encore dans le buffet de la cuisine, à côté du long couteau à zigouiller les Boches.
Mon grand père maternel avait fait également la bataille de Marignan, la bataille de Crécy, et, pour finir la bataille de Pavie. Ah j’oubliais ! Il avait fait Alésia mais il ne se souvenait pas que c’était dans la Côte d’Or. De toute façon, il n’y avait pas encore de départements et mon grand père, qui était très patriote et très républicain, refusait de collaborer avec des gens qui n’étaient même pas pour la République !
N’oublions pas que c’est lui, qui a rédigé, avec Albert Camus et Louis Lecoin, le statut des Objecteurs de conscience !
Ah ! c’était quelque chose les veillées des Chaumières ! A condition qu’on ait un grand père patriote et un peu de public pour l’ambiance !