L’Etat français a pris de grands airs d’humanisme et de modernité en abolissant la peine de mort le 9 octobre 1981. En réalité, harmonisation des normes pénitentiaires européennes oblige, la France y a été forcée, c’était le dernier pays à le faire et Badinter a joué le rôle du justicier porteur de ce « combat capital ».
Certains se sont extasiés sur cette mesure qui était loin de faire l’unanimité dans la population française, mais les gouvernements successifs avaient préparé tout un arsenal juridique pour remplacer la guillotine par l’élimination sociale, bien plus efficace. En effet, depuis la suppression de la guillotine, les places de prison se multiplient et les peines s’allongent à l’infini, bien souvent
jusqu’à la mort. En moyenne, il y a une mort tous les trois jours en prison.
Des prisonniers de la centrale d’Arles ont dénoncé cette supercherie dès 2001, dévoilant ce qui se cachait derrière cet humanisme de façade : une refonte du système pénal français, une étape dans un processus dont le but reste l’élimination. En 2006, des prisonniers longues peines de la centrale de Clairvaux ont tenté une provocation désespérée : ils ont demandé « le rétablissement de la peine de mort pour eux-mêmes » pour ne plus subir la mort lente de l’enfermement.
La tendance n’était déjà plus au pseudo-humanisme ; et maintenant, covid oblige, plus l’État brandit des vies à sauver, plus il enferme et laisse mourir : les vieux dans les Ehpad et les prisonniers dans les prisons. Que l’on meure sous les balles de la police, sous les coups de matons ou bien de maladie au fond d’une cellule, l’Etat garde son pouvoir de vie et de mort. Il peut déléguer la peine de mort à d’autres pays qui se chargeront de leurs ressortissants ; il peut abattre celles et ceux qu’il considère comme des ennemis dans la rue : une exécution sommaire au vu du public, comme au bon vieux temps de la guillotine. Et il peut laisser mourir à petit feu.
L’Etat ne guillotine plus, mais il faut bien les supprimer d’une manière ou d’une autre, celles et
ceux qui le gênent, celles et ceux qui ne sont plus rentables, qui ne se soumettent pas. 40000 prisonniers en 1981, 48000 en 2001 , 60000 en 2011, 77000 en 2021… Le discours officiel présente toujours les nouvelles places de prison comme un remède à la surpopulation carcérale et un moyen d’améliorer les conditions de détention, et Dupont-Moretti – autre vieille star du barreau passée à la politique – n’échappe pas à la règle lorsqu’il annonce la construction prochaine de 7 000 places supplémentaires. Mensonge, évidemment : les nouvelles prisons seront bientôt aussi bourrées que les anciennes ; et quand l’horizon de l’encellulement individuel dans des prisons high-tech est ponctuellement atteint ici ou là, les témoignages ne manquent pas pour montrer que c’est le début d’un autre enfer : celui de la privation sensorielle et de la rupture de tout lien social.
Depuis l’abolition, le système pénal se donne les moyens de punir toujours plus... Plus les peines
prononcées se multiplient, plus elles s’allongent. L’allongement d’une peine en particulier a un effet sur toutes. La création incessante de nouveaux délits induit directement cet allongement des peines : un juge qui peut vous coller une peine de prison pour avoir téléphoné au volant en récidive ou refusé de payer des amendes pour non-port du masque n’a aucun mal à condamner un prévenu à trois ans pour un vol simple, et un mineur à dix-huit ans de prison pour un jet de cocktail Molotov sur la police, comme dans l’affaire de Viry-Châtillon jugée en avril 2021. Partant de là, même une condamnation à trente ans d’enfermement ne surprend plus guère. Trente ans : le temps d’un crédit immobilier.