Six ans après le début d’une intense bataille devant les tribunaux pour tenter de faire prolonger les droits d’auteur du célèbre «Boléro» de Ravel, les successions Benois/Ravel font appel du jugement prononcé en juin dernier.
Le 28 juin 2024, le Tribunal de grande instance de Nanterre (TGI) avait rendu son verdict concernant l’affaire du Boléro de Ravel, déboutant la demande des héritiers. Pour rappel, les successions Alexandre Benois et Maurice Ravel avaient intenté un procès depuis 2018 contre la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), afin de contester l’entrée du Boléro dans le domaine public en France en 2016. Après six années de procédure, les ayants droit du compositeur tentaient de faire reconnaître la partition comme une œuvre de collaboration entre Ravel et le décorateur Alexandre Benois (1870-1960).
Au Canada, au Japon et dans les pays observant un délai de 50 ans post mortem, le Boléro, comme toutes les œuvres du compositeur français, est entré dans le domaine public le 1er janvier 1988, puisque le compositeur est décédé en 1937 des suites d'une maladie cérébrale.
En France, le délai est de 70 ans après la mort de son auteur, donc le Boléro aurait dû être concerné en 2008. Mais les ayants droit de Ravel ont fait valoir les prorogations de guerre, dues à la Seconde Guerre mondiale, qui ont donc retardé l'échéance de huit ans. Ainsi, la Sacem avait prévenu : à partir de 2016, les droits d'auteur du Boléro devaient leur revenir. Mais Maurice Ravel étant mort sans enfant, la ligne d'héritage est complexe et a retardé l'échéance.
Lors du décès du compositeur, son frère Edouard en est devenu l'unique héritier de ses biens et de sa musique. Or, ce dernier a légué ses droits d'auteur à sa gouvernante, Jeanne Taverne, qui les a elle-même légués, à sa mort, à son mari Alexandre Taverne. C'est ensuite les enfants de la seconde épouse d'Alexandre Taverne qui ont fini par hériter de ces droits, jusqu'en 2016, date à laquelle le Boléro devait rejoindre le domaine public.
C'est là qu'interviennent de nouveaux ayants droit potentiels : les héritiers d'Alexandre Nikolaïevitch Benois, décorateur du ballet qui a travaillé sur plusieurs ballets de Maurice Ravel. Ils estiment que leur arrière-grand-père doit être reconnu comme coauteur du Boléro, tout comme la chorégraphe Bronislava Nijinska, puisqu'ils font valoir le fait que cette œuvre est davantage un ballet qu'une pièce orchestrale.
L'enjeu est donc de taille, car si la Sacem reconnaît Alexandre Benois comme coauteur de l'œuvre, les droits d'auteur seront prolongés jusqu'en 2039, puisque le décorateur est décédé en 1960.
Si le Boléro suscite autant de convoitises, c'est parce que l'œuvre représente une manne financière très juteuse. Si pendant des années, elle aurait représenté plusieurs millions annuels, on estime qu'entre 2011 et 2016, elle aurait rapporté aux ayants droit de Maurice Ravel pas moins de 135 000 euros par an.