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1 février 2025 6 01 /02 /février /2025 10:23

Peu de mots sont aussi riches de sens variés que "cette partie du corps humain qui fait angle droit avec la jambe et permet la station verticale" ainsi que le dit fort judicieusement l'un de mes dictionnaires.

C'est la raison pour laquelle nous n'envisagerons qu'un seul "pied", celui que l'on prend, ou que l'on ne prend pas d'ailleurs. Ce pied-là, qui est la version populaire de l'orgasme, et plus spécialement féminin, n'est pas aussi nouveau qu'on pourrait le croire.

Selon Alain Rey, ce sens très précis serait apparu vers 1920, et devenu plus courant à partir de 1925. Toutefois, ce serait le roman de Jean-Louis Bory, "Le Pied" publié en 1976 qui lui vaudrait son succès actuel. Si Alain Rey l'affirme, c'est certainement vrai.

Pourtant, le formidable engouement du public pour le film de Bertrand Blier, "Les Valseuses" en 1973 avait déjà beaucoup fait pour développer l'expression. On se souvient que Miou-Miou, malgré les efforts héroïques et conjugués de Depardieu et Dewaere, ne parvenait à le prendre, ce fameux pied, qu'à l'extrême fin de l'histoire, après une heure et demie de pellicule et suite à l'intervention d'un troisième larron, beaucoup plus minable en apparence.

Et pourtant, l'origine de la locution n'a pas grand-chose à voir avec le sens actuel. Le "pied", c'est la "part" de butin dans un vol. C'est ce qu'il y a à partager. On le dit depuis la fin du siècle dernier, par référence au "pied", unité de mesure de longueur de 32 centimètres environ, jusqu'à l'instauration du système métrique. Que les lecteurs mâles qui sont en train de s'observer avec inquiétude, se rassurent, les 32 centimètres n'ont rien à voir dans l'affaire.

On suppose seulement, que "prendre sa part de butin" a pu donner le sens actuel de "prendre sa part de plaisir".

Quant à la question de savoir pourquoi la formule est plus fréquente pour évoquer le plaisir féminin, c'est que nous autres, fiers porteurs de seringues, dits du sexe fort, éprouverions un plaisir moins intense. Je ne sais pas comment on a fait pour mesurer l'intensité exacte des sensations, mais bon, c'est comme ça! Nos lecteurs catholiques pourront toujours supposer que c'est une compensation aux douleurs de l'enfantement. Ou, inversement, que, puisque tout plaisir se paye par de la souffrance, Dieu, qui serait un petit peu macho, aurait voulu punir plus durement nos compagnes en leur accordant cette petite gâterie supplémentaire.

Alain Rey, décidément très en forme sur ce sujet, fait référence aux Grecs, qui avaient déjà noté que le plaisir sexuel chez la femme s'associe à un mouvement corporel dans lequel le pied joue un rôle important. Suit ici, chez mon linguiste préféré, une description de gymnastique amoureuse, que je ne vous citerai pas, sinon c'est l'atteinte aux bonnes mœurs, et d'ailleurs la phrase est trop longue.

Je ne vous conseille pas de confondre "le pied" et les "pieds", notamment dans l'expression "avoir les pieds dans le dos" qui signifie "être suivi, pourchassé par la police". Il est rare qu'on éprouve du plaisir dans ces conditions. Pour ma part, je n'éprouve aucun plaisir particulier à rencontrer la police et encore moins à la sentir derrière moi.

Et si vous demandez leur avis aux "sans papiers" de l'église Saint Bernard, je suis à peu près certain qu'ils vont abonder dans mon sens.

Reste que je vous ai parlé des valseuses. Lorsque parut le film, il y a donc un peu plus de vingt ans, beaucoup de gens pensèrent qu'il était simplement question des adeptes d'une danse bien connue. Pourtant les "valseuses" désignent les testicules depuis 1905. Simplement, par comparaison, elles se balancent, les malheureuses, d'où l'appellation, également, de "balloches" (du verbe "ballocher", ballotter, depuis 1836) ou de "pendantes", pour des raisons anatomiques évidentes.

Quand votre patron, ou mieux encore, un ministre à la télé, prend cet air grave et hautain qui vous énerve tant, imaginez-le donc les valseuses pendantes. Et pensez que, peut-être, il ne prend jamais son pied.

 

 

Rolland HENAULT ("Articles 2001-1996" aux Editions de l'impossible)

 

 

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