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24 mai 2025 6 24 /05 /mai /2025 10:28

On a eu les fausses victimes du Bataclan, les faux résistants de la Seconde Guerre mondiale et les fausses victimes de la Shoah. On se rappelle notamment le scandale de l’organisation Claim Conference qui a permis à 5.500 personnes aux États-Unis de percevoir frauduleusement des indemnités destinées aux victimes du nazisme (42,5 millions de dollars détournés, payés par l’Allemagne…). En outre, de faux rescapés de l’Holocauste ont quelquefois été démasqués, tel le musicien suisse Binjamin Wilkomirski, à la fin des années 90.

Le cinéma s’intéresse, cette fois, à un autre imposteur fameux de la déportation. Ancien syndicaliste, élu président en 2003 de l’Amicale de Mauthausen qui réunit les victimes espagnoles de la déportation nazie, Enric Marco fut dénoncé par l’universitaire et historien Benito Bermejo en 2005. Ce dernier découvrit, en consultant les archives du ministère des Affaires étrangères espagnol, que Marco partit volontairement en 1941 travailler en Allemagne dans l’industrie de guerre, dans le cadre des accords passés entre Franco et Hitler… Jamais il ne fut déporté dans les camps. Cette mystification fut longuement étayée dans la presse de l’époque et fit l’objet, en 2014, d’un essai critique de l’écrivain Javier Cercas, L’Imposteur, traduit en français chez Actes Sud.

Écrit et réalisé par Jon Garaño et Aitor Arregi, qui mûrissaient leur projet depuis 2006, le film « Marco, l’énigme d’une vie » raconte cette affaire et s’appuie aussi bien sur les travaux de Bermejo et Cercas que sur les conversations personnelles des deux coréalisateurs avec l’intéressé – une quinzaine d’heures d’entretiens aurait été enregistrée en 2011.

Fascinant, le film propose une véritable plongée dans la psyché d’un personnage qui se ment autant à lui-même qu’aux autres. Narcissique au possible, voulant à tout prix occuper le devant de la scène, notre imposteur se saoule de ses propres paroles, ment avec aplomb et conviction, persuadé, face à son auditoire, d’avoir réellement vécu l’horreur des camps. Alors, à mesure que s’écaille le vernis du mensonge, le personnage se braque, tente la menace… Acculé par les membres de son association, celui qui s’apprêtait à prendre la parole à la cérémonie de commémoration de la libération de Mauthausen, en présence du Premier ministre José Luis Zapatero, finit par avouer, honteusement… pour mieux se poser en victime ! C’est là, véritablement, que le film trouve son intérêt. Il nous montre comment cet imposteur invétéré, jusqu’au-boutiste, parvient à minimiser, voire à justifier son mensonge pour mieux rebondir et faire parler de lui dans les médias, refusant de reconnaître la gravité de ses actes et de comprendre qu’il ferait mieux de se taire une fois pour toutes pour se faire oublier, ne serait-ce que pour le bien-être de sa famille, frappée de plein fouet par le scandale.

Plutôt prosaïques dans leur mise en scène, les cinéastes auraient pu pousser davantage l’ironie, mais ils ont choisi scrupuleusement la sobriété ainsi qu’une forme d’empathie. Plus pathétique que méchant, Enric Marco a eu droit, en définitive, à un traitement humain.

 

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