Pour les amateurs de « ruine-babines » (le petit sobriquet donné à l’harmonica), le plus humble des instruments, le seul, avec le triangle, qui puisse tenir dans la poche, Jean-Jacques Milteau est une véritable institution. En France, c’est le maître incontesté de la discipline. À l’étranger, tous les musiciens retirent leur chapeau au simple énoncé de son nom. Ainsi, Charlie McCoy, le maestro de l’harmonica country, l’homme qui règne sur Nashville, est le premier impressionné quand, lors d’un concert donné à l’Olympia en 1977, où il accompagne Eddy Mitchell – qui a toujours eu un goût très sûr dans le choix de ses musiciens –, il accepte de croiser le fer avec le jeune Milteau, seulement 27 berges au compteur. Après s’être mesuré à lui, McCoy admet : « Il y a un monsieur qui joue avec nous sur cette scène. Il joue aussi bien que moi, si ce n’est mieux. Il a maintenant son propre style. Je lui laisse la place. C’est Jean-Jacques Milteau. » Une anecdote que confirmera notre Schmoll national, lors d’un autre concert, toujours à l’Olympia, en 2011 : « Mon ami Charlie a encore dit à Milteau : "Oui, tu joues très bien, mais surtout, rends-moi un service, ne t’installe jamais à Nashville…" »
Pourtant, notre homme, né le 17 avril 1950, a toujours été du genre modeste. Il aurait pu plastronner, ayant exercé ses talents derrière des artistes du calibre de Maxime Le Forestier, Barbara, Yves Montand, Charles Aznavour, Eddy Mitchell ou Renaud. Mais non. Il est toujours demeuré en retrait, préférant former de jeunes pousses, tel un certain Greg Szlapczynski, plus connu sous le nom de Greg Zlap, qui sera le dernier harmoniciste du grand Johnny. Pareillement, et ce, encore dans la plus grande discrétion, de 1997 à 1998, il anime, avec ce nouvel élève, un atelier pour les enfants malades au Centre de rééducation de Bullion, dans les Yvelines. Toujours dans ce registre, il publie, en 2001, Manque pas d’air, album « réalisé par Musique & Santé pour découvrir les plaisirs de l’harmonica mais aussi l’utiliser comme allié pédagogique pour une meilleure prise de conscience du souffle. Particulièrement utile pour les enfants atteints de maladie respiratoire : asthme, mucoviscidose… »
Féru de littérature, Jean-Jacques Milteau sort un autre album, L’Or, mise en musique du roman éponyme de Blaise Cendrars. Mais notre artiste est également réputé de par le monde par ses méthodes d’harmonica. À tel point qu’on parle aujourd’hui du Milteau comme du Bescherelle… Un véritable homme-orchestre, en quelque sorte.
Ce qui ne l’empêche pas d’arpenter les scènes du monde entier, de régulièrement sortir des albums - vingt-six, à ce jour - Dans cette imposante discographie, on ne sait parfois que choisir. Néanmoins, il n’est pas illicite d’avoir un faible pour Merci d’être venus (1996), album de duos où il met son instrument au service de Francis Cabrel (Sarbacane), Michel Jonasz (Les Fourmis rouges), Claude Nougaro (Les Don Juan), sans oublier ce Lonely Crowd proprement renversant, partagé avec l’immense violoniste Didier Lockwood, l’élève de Stéphane Grapelli.
Pour finir, on saluera le légendaire effacement médiatique de Jean-Jacques Milteau qui, s’il a sûrement son avis sur la marche du monde, n’en fait jamais publiquement état. Au lieu de parler, il préfère souffler. Nombre de ses confrères seraient bien inspirés de l’imiter. Chapeau bas devant l’artiste.
PS : Notons que ses reprises de titres anciens n’ont souvent rien à envier aux chansons originales, tel qu’en témoignent ces réinterprétations du What a Wonderful World de Louis Armstrong et l’Ode to Billy Joe, de Bobbie Gentry.