22 octobre 1941. Vingt-sept otages communistes tombent à CHÂTEAUBRIANT sous les balles des SS.
Lorsqu’on est venu les chercher dans le camp des otages, ils étaient tous regroupés dans la baraque 6 et le sinistre appel a commencé. Un nom tombe comme un couperet et un homme s’avance, le premier à sortir c’est CHARLES MICHELS, pâle mais bien droit, la tête haute, il a les mains enchaînées devant lui. Il monte dans la voiture cellulaire et dit à l’officier allemand : « Vous verrez comment meurt un député Français ! »
JEAN PIERRE TIMBAUD est le second ; il crie à Touya, ce policier français collabo: « Je ne suis qu’un ouvrier mais ma cotte est plus propre que ton uniforme ! » Le traître a pâli, a sorti son révolver mais l’a rengainé aussitôt.
CHARLES TÉNINE passe, il interpelle l’officier nazi: « C’est un honneur pour un Français de tomber sous les balles allemandes, mais c’est un crime de tuer un gosse ! » en désignant GUY MÔQUET qui les suit, mais qui s’exclame: « Laisse, Ténine, je suis aussi communiste que toi ». Et il crie « Adieu, les copains !»
Ils sont neuf à monter dans ce premier camion, notre benjamin est le dernier.
Un chant s’élève dans le camp: LA MARSEILLAISE ! Reprise, jaillissante, scandée, la Marseillaise des combats, de la bravoure, la MARSEILLAISE vengeresse de 93 et des grands jours de l’histoire nationale. LE CHANT DU DÉPART lui succède. Qu’ils sont beaux ces vers :
« Un Français doit vivre pour elle, Pour elle un Français doit mourir ! »
Le deuxième camion vient se ranger à son tour; la haute stature de Barthélémy apparaît; c’est le vétéran, il manque la marche du camion, mais il repousse vigoureusement le soldat qui veut l’aider à reprendre son équilibre. Huit autres de nos frères suivront. Le troisième camion se remplit, vite, le temps presse ; c’est tout juste si on aperçoit POURCHASSE, qui, tourné vers la baraque des femmes, lève les deux mains enchaînées dans un dernier adieu.
Il est 15h 15. L’officier allemand du camp salue le lieutenant Touya et prend place dans une voiture de tourisme qui vient d’arriver et va prendre la tête du lugubre cortège qui s’ébranle immédiatement vers la carrière. Les gendarmes français se fixent au garde à vous, mais beaucoup pleurent. Alors, pour briser l’intolérable silence qui dure depuis que l’embarquement a commencé, tout à coup, relate un témoignage, « la Marseillaise retentit à nouveau et la force gagne, ELLE S’ENVOLE DES CAMIONS, irrésistible, gagne tout le camp, baraque par baraque. Notre cœur et notre colère, nos ressentiment et notre contrainte, notre résolution et nos espoirs « s’exhalent en un hymne vibrant, conquérant… Nous vivons la Marseillaise comme peu de Français l’ont sans doute vécue ».
Quand le convoi atteint la route, brusquement, les portes des baraques du camp s’ouvrent malgré la menace du fusil mitrailleur braqué, les gendarmes ne réagissent pas tant ils sont eux-mêmes bouleversés, c’est la ruée vers les barbelés pour chanter une dernière fois avec ceux qui partent au supplice
Il est 15h25, à Châteaubriant c’est jour de marché, il y a beaucoup de monde, abasourdi d’entendre la Marseillaise chantée par ceux qui vont mourir ! Inoubliable Marseillaise !
Il est 15h30 ; le convoi passe devant la mairie, la rue du Château, la place des Terrasses et gagne le passage à niveau sur la route de Soudan. Les martyrs ne cessent pas de chanter. Dans un camion, on entend le Chant du départ : «Tremblez ennemis de la France, Rois ivres de sang et d’orgueil…» Mais d’un autre camion, on entend aussi crier « Maman, maman !! »
Des hommes pâles, tête nue, serrant les poings, des femmes se signant. Sauf quelques traitres, c’est Châteaubriant tout entier qui communie avec ceux qui vont mourir.
À 15h40, les trois camions arrivent à la carrière de la Sablière. Un détachement de SS est spécialement arrivé d’Angers. Ordre est donné de faire ronfler les moteurs des camions pour tenter d’étouffer les chants.
Le long de la paroi nord de la carrière, devant un rideau d’ajoncs et de ronces, neufs poteaux sont placés de cinq mètres en cinq mètres. À douze mètres devant se tient un peloton d’exécution de QUATRE-VINGT-DIX HOMMES. Dix pour chacun. Les martyrs sont placés sont placés devant les poteaux les yeux bandés et les mains libres. Ils chantent jusqu’à la dernière minute et crient « Vive la France , vive la Russie, vive le Parti communiste, à bas Hitler ! »
Ténine crie à nouveau en allemand: « Vous allez voir comment meurt un officier français ! »
Et Timbaud, lui, leur lance un nouveau défi, comme pour les narguer: « Vive le Parti communiste allemand ! »
Il est 15h55. Première salve.
Un officier tirera ensuite une balle dans la tête de chaque victime
Il est 16h, deuxième fusillade. Selon les paysans des environs, la Marseillaise «chantée était encore plus vibrante ».
Il est 16h10, troisième vague. Ce furent les même chants entrecoupés par la rafale assassine qui, chaque fois, avait déchiqueté les corps des Français. Des lambeaux de chair furent projetés dans les ajoncs et les ronces, ce qui attira les corbeaux du château. Les jours suivants, on y retrouva même les lunettes du professeur Guéguen.
Au camp, les camarades qui avaient appris que l’exécution aurait lieu à l’heure prévue, 700 hommes et femmes, s‘étaient rassemblés dans la cour pour entendre les salves. L’un d’eux, Henri Gauthier, prend la parole, une minute de silence est observée par sept cents hommes et femmes, le cœur lourd de douleur et de haine.
Il est 17h. Les bourreaux chargent les corps pour les ramener à l’antique château. Ils sont entassés là, à gauche de l’escalier d’honneur, dans l’ancienne salle des gardes. Des sentinelles sont postées pour empêcher la population d’approcher.
Le soir est maintenant tombé.
Au camp, l’heure de l’appel a lieu comme d’habitude. Mais le bureau a oublié de rayer les noms de ceux qui appartiennent désormais à l’histoire, et quand le gendarme annonce « Charles Michels », quelqu’un répond « Mort pour la France! ». Et ainsi de suite, pour chacun des vingt-sept, spontanément dans chaque baraque.
Parmi les femmes du camp, il faut souligner l’exemplarité du courage dont fit preuve l’une d’entre elle, Léoncie Kérivel, épouse d’Eugène. Lorsqu’elle apprit que le jeune Guy Môquet faisait partie des martyrs, Léoncie alla voir le commandant du camp et lui dit: « Vous allez fusiller mon mari, je n’ai pas d’enfant, alors fusillez-moi à la place de ce gosse ! »
« Non, Madame, Guy Môquet est responsable des Jeunesses communistes de la région parisienne, il faut faire un exemple. »
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