Mon peu de sympathie pour les matières, les formes et les technologies du monde aïtec contemporain - avec lesquelles il semble qu’ondoive jouer pour être reconnu comme artiste contemporain – explique peut-être que je n’aie vu dans certaines « propositions » exposées que des gags sans portée et même pas vraiment drôles, mais d’autres, utilisant le même type de langage artistique, m’ont bien intéressé : – j’ai été par exemple aussi époustouflé qu’amusé par les vidéos très rapides dans lesquelles Moussa Sarr(1984) mime un « étalon noir », une mouche ou un père Noël ligoté à une chaise sur qui on balance des tas de cadeaux (ces paraboles humoristiques ont un enjeu sérieux, protestent contre le racisme, la colonisation, l’exclusion, …, mais on ne le découvre qu’en lisant le catalogue) – les instruments de jardinage défaits et refaits de travers par Philippe Poupet (1965) trouveraient leur place dans une version augmentée du Catalogue d’Objets Introuvables du regretté Jacques Carelman – le cheval de tuyaux métalliques de Richard Fauguet(1963) est un bel exemple de cette improbable science-fiction du XIXème siècle avec des techniques du XXIème, ou inversement, dont il a fait un langage étonnamment éloquent pour dire la formidable confusion dans laquelle nous vivons – s’il faut attribuer une couleur à l’humour de la nature morte aux deux têtes et aux citrouilles de Saverio Lucariello (1958), ce serait le vert glauque, gai comme le radeau de la Méduse, ou une grande méduse sans radeau, mais c’est une œuvre forte, qui renouvelle le lyrisme de la vie creuse d’une manière très originale – la photo mise en scène par Maïke Freess (1965) d’un couple tête bêche autour d’une table de restaurant procède d’un sens du non sens beaucoup plus allègre, et on aimerait voir d’autres œuvres de cette artiste – même allantdans les photos de Florent Lamouroux (1980), sur lesquelles on peut le voir dans des vêtements et attitudes typiques de divers rôles sociaux contemporains (touriste, chasseur, balayeur, rugbyman, …) ; on croit d’abord à un simple jeu avec les stéréotypes façon Cindy Sherman, mais en regardant de plus près on voit que tous les vêtements (y compris chaussures, chapeaux) et accessoires (appareil photo, lunettes, fusil, …) sont faits avec des sacs poubelles, ce qui ajoute une double dimension d’exploit artistique et de caméléonisme existentiel (il fait aussi des « Territoires Nomades », lieux qu’il déplace jusque là où – si les lieux rêvent – ils n’auraient jamais rêvé d’aller), et nuance le sourire d’admiration et de sympathie (si bien sûr on est soi-même du signe du caméléon)
De la drôlerie il y a, donc, dans cette exposition qui en promet. Mais de qualité et d’intensité très inégale, allant de l’hilarant (Baxter) au lugubre (Lucariello), en passant par l’étrange (Fortier), le brigolo (Fauguet), le carrollien (Freess), l’argilleux (Angel), l’armurié (Gardair), le légerléger (Halbert), le frégolique (Lamouroux), le livredérecordificque (Perbos), l’introuvable objectif (Poupet) ou le vif-argent (Sarr). Quelquefois on en voudrait plus, d’autres fois c’est déjà trop, mais dans tous les cas on est loin de l’allégresse carnavalesque burlesque des figures de Desprez. Et c’est somme toute normal. Despreza inventé ses personnages impossibles pour faire rire, et tout le monde ; ses équivalents à l’ère du cinéma sont Méliès, Tex Avery, Tim Burton. Inversement, un artiste, aux sens forts que peut prendre ce mot, n’est jamais seulement un amuseur. L’humour, même s’il joue un rôle essentiel, ne peut être le tout de l’art. Et donc on félicitera les « commissaires », Dominique Marchès et Sophie Brossais, de n’avoir pas rassemblé une expo à la hauteur de l’attente suggérée par le drôlatitre et l’utilisation des Songes de Pantagruel : si ç’aurait été plus drôle, ç’auriont point été autant d’l’art.