Méfiez-vous de vos contemporains (20 février 2012)
Je vous aurai prévenus ! Vous ne direz pas après que j’ai été salaud avec vous. Je connais la nature humaine, moi, et je crois pas à Saint Pol Tartre : elle existe, la nature humaine, et elle n’a pas changé d’un poil depuis le néolithique !
Si, d’un ou deux poils, qu’elle a d’ailleurs perdu.
La nature humaine à l’époque était plus poilue, à cause du froid. Ca évitait d’aller chez les marchands, qui étaient sapés comme des cochons. En soie de porc.
Avec la queue en tire bouchon ? Oui, avec la queue en tire bouchon, et pourtant le bouchon n’existait pas. Enfin, bordel ! ils pouvaient pas faire du vin, ils n’avaient pas de vignes.
Ils pouvaient pas faire les marioles avec des dégustations à l’aveugle !
Quand ils ont commencé les dégustations à l’aveugle, ils se sont crevé les yeux. Comme ça, ils étaient sûrs qu’il y avait pas de magouilles.
Ils pouvaient rien faire, pratiquement, alors les poils ils s’en foutaient complètement.
Et ils portaient le costard en soie de porc naturelle !
Tout était naturel à l’époque : les crèmes glacées, les macaronis glacés, les macarons glacés, les marrons glacés.
Même à Stalingrad c’était déjà glacé !
L’élégance suprême c’était la massue, qui se portait derrière, dans le dos. On s’en servait, au dépourvu, pour fracasser le crâne du poilu d’en face. A l’époque (oui, parfaitement j’ai dit : à l’époque !) on s’emmerdait pas avec le code pénal et les Palais de Justice !
C’était le premier qui avait dégainé qui gagnait !
Le plus rupin, aussi, c'est-à-dire celui qui avait le maximum de comptes gelés dans les banques.
Congelés dans les banques. Eh oui ! la banquise, c’est un mot qui vient de là !
Et puis on ne vantera jamais assez l’esprit pratique de nos ancêtres vraiment poilus.
Siné a réalisé un dessin remarquable qui représente un monument aux morts avec un vrai poilu ! Un poilu de la grande époque des Poilus. Je vous enverrai une photocopie gratuitement si vous achetez le livre.
De la peau des couilles aux oreilles et jusqu’aux orteils, il est poilu, le poilu de Siné !
Il faut dire qu’ils ont été des précurseurs pour soigner les nourrissons : ils les planquaient déjà dans le congélateur ! Et le congélateur fonctionnait au gel naturel !
Ils avaient également inventé le plan Blanc pour les canicules d’été ! Les vieux au congèle !
Ah ! Les braves gens ! Et ici on mesure les progrès de l’humanité en marche !
Ah ! les poilus de 14 n’ont rien inventé ! S’ils avaient bastonné les Boches à la massue traditionnelle, on pourrait les décorer. On leur planterait une étiquette avec le prix de la gloire à la poitrine : « Pectoral de Héros, 12 euros le kilo ! »
« Plat de côtes de Héros, 9 euros ! »
On pourrait s’acheter du héros au détail. Alors qu’aujourd’hui, si on veut s’acheter un héros, histoire d’impressionner les voisins, il faut le prendre en entier !
Une journée sans souvenirs (17 juin 1943)
Je n’ai pas de souvenir marquant du 17 juin 1943. J’en suis navré pour tous ceux qui en attendaient un et après tout, c’est leur droit. Mais j’ai beau chercher, et rechercher je n’ai rien concernant cette journée qui dut être tout aussi historique que les autres.
Essayez de bien vous mettre ça dans la tête : il n’y a pas de journée sans intérêt.
Il s’est forcément passé quelque chose !
Si c’est pas chez vous c’est peut-être chez le voisin. Je parle ici du milieu rural, en ville il y a bien davantage de jours inutiles, on vide les poubelles et hop finis les souvenirs…à peine s’il y a de temps en temps un fœtus dans la poubelle, c’est rien du tout…J’ai lu ça dans un ouvrage populaire consacré à Aubervilliers. Les vidangeurs retiraient des cabinets (ils appelaient ça comme ça !) environ 7 à 8 fœtus par semaine…C’était le bon temps, les affaires tournaient !
Mais à la campagne c’est plus sonore, plus parfumé. Chaque jour a son parfum !
A la campagne, il y a aussi plein de choses à raconter parce qu’on croit entendre des voix…des voix célestes, qui résonnent longtemps.
Encore plus longtemps que ça ! Et c’est souvent vrai, en plus !
Parfois c’est le mari qui essaye d’étrangler sa légitime, parfois c’est l’inverse. Ou alors dans le même ordre d’idée il y a les zoophiles. Je ne vous ai pas tout dit sur les zoophiles. Par exemple je vous ai narré l’enculeur de chèvres d’une commune rurale, mais pas les amours d’un laboureur avec sa jument.
Vous me permettrez d’aller me coucher il est tard, les créatures maléfiques frappent aux volets de la cuisine, la cuisinière brûle d’amour et pourtant c’est une cuisinière en acier et laiton, il y en a une autre qui brûle d’amour aussi et elle est en chair et en os.
Elle va se consumer, cette conne. Faut la refroidir…
Attention, elle brûle surtout en de certains endroits de son corps velu, à une époque où le harcèlement sexuel n’est pas réprimé !
C’est une honte d’ailleurs.
C’est un scandale. Les hommes se jettent sur les femmes en criant des mots obscènes, et, le pire, c’est que les femmes ne se plaignent pas !
Les femmes pendant l’occupation et même bien après cherchent au contraire à attirer les hommes !
J’étais jeune en 1943, je ne lisais pas encore Rabelais…ces femelles auraient pu me violer !
Deux Saints très souvent invoqués (27 Juillet 1949)
L’année suivait tranquillement son cours, l’astre du jour commençait sa tournée le matin dès l’aube, en compagnie du facteur, les jours succédaient aux jours, on passait ainsi régulièrement du 15 au 16 juin, puis du 16 au 17 juin et j’arrête ici pour ne pas vous fatiguer davantage par des lectures inutiles.
Il y a tellement de livres inutiles aujourd’hui, alors qu’il suffirait d’une guerre mondiale et de quelques restrictions sur la production de papier (abattre la totalité de la forêt amazonienne par exemple) pour éviter l’entassement de toutes ces publications pleines de photographies et de phrases insipides, que beaucoup d’auteurs parviennent plus ou moins péniblement à rédiger pour vous dire qu’ils sont les meilleurs de leur canton.
A ce propos on me pose souvent la question : pourquoi Saint Trou du cul et Saint Trou de bite n’apparaissent-ils pas sur le calendrier des Postes alors qu’ils sont si souvent sollicités par les paroissiens de ma commune ?
La réponse est simple, la fête du premier nommé tombe le 25 décembre et le second ferait double emploi avec le 14 juillet.
J’en arrive ainsi au fameux 28 juillet 1949.
Cette année-là, les blés n’avaient pas gelé, je ne vais pas vous refaire ce récit tous les matins ! Donc ils avaient prospéré et au-dessus de leurs longues tiges, les lourds épis penchaient leur tête appesantie avant d’arriver en vrac au Crédit Agricole, où d’immenses silos à fric étaient disposés, avec des robinets à fric, qui fonctionnaient seulement pour les riches. Si on se met à alimenter les pauvres, ils vont former une masse considérable et graisseuse, gênante pour la circulation, et inutile pour l’écoulement des marchandises. En plus ils iront tous se réfugier dans la Bande de Gaza, sous prétexte qu’ils ont des copains pauvres, ah ! les pauvres sont devenus intenables !...
Or, ces longues tiges, ainsi que je l’ai fait observer, et ces lourds épis qui penchaient leurs têtes appesanties, cela a permis de nombreux incendies !
Les incendies présentent un intérêt sanitaire et social.
(Mr Monsanto avait inventé le produit phytosanitaire qui fait pousser le blé en hauteur, mais pas celui qu’on pulvérise quinze jours plus tard pour la raccourcir, la paille, sinon nous assistons, impuissants, au phénomène de la « verse », je n’insiste pas vous ne pourriez pas comprendre, et donc, à cette époque lointaine, la surabondance de paille permettait de somptueux incendies, et provoquait une animation dans les champs trop souvent désertés par les touristes. Alors qu’il y avait un spectacle pyrotechnique, gratuit en plus, voire une initiation à l’abstraction lyrique, en live !)
Il suffit, en 1949, de disposer d’un simple tracteur « Société Française », fabriqué à Vierzon (Cher) avec échappement à l’arrière et en bas, ce qui facilite l’expulsion d’étincelles qui ne demandent qu’à allumer les fameux incendies.
Ici je me permets une question, j’espère que vous ne la jugerez pas insultante.
La voici, toute simple : avez-vous déjà assisté à un incendie ? Je parle d’un vrai incendie, comme celui du Bazar de la Charité, ou celui que le Créateur fit s’abattre sur Sodome et Gomorrhe il y a déjà un certain temps. (Entre nous, c’était pas très fin de sa part puisque les feux de l’amour faisaient rage en bas, que de réactiver les flammes par le haut. Il eût mieux valu, tant qu’à faire un miracle, qu’il déclenchât alors les vannes célestes connues sous le nom de déluge !)
On combat en général le feu par l’eau, alors que l’inverse est inefficace, car jamais on a vu, en dépit de l’expression populaire, « y a pas le feu au lac ! », arrêter les inondations par des colonies d’incendiaires, même très bien entraînées, équipée de napalm, de lance flammes, ou pour les plus préhistoriques, de deux bois bien secs, ou de deux malheureux silex !
Donc, le 28 juillet 1949, le feu se manifeste au loin par une colonne de fumée, qui, activée par le vent, montre bientôt que nous sommes en présence de flammes d’une hauteur considérable ! Et en plus, il avance, le feu, si bien qu’il faut le qualifier d’incendie, puis de « sinistre », qui est le troisième sur l’échelle de Richter. (on ne rendra jamais suffisamment hommage à ce Richter, qui, avec une simple échelle, permet la mesure d’à peu près tous les phénomènes humains ou divins qui se produisent dans cette vallée de larmes.)
Donc, le feu arrive à bride abattue, si on tient à le comparer à un cheval, si on préfère les femmes on dira « à la vitesse d’un troupeau de femmes qui ont le feu au cul, dévastant tout sur son passage et menaçant non seulement les récoltes, les assurances, les dépôts du Crédit agricole, mais les êtres vivants aussi (et même s’il y a dans cette catégorie un pourcentage important de charognes, c’est du gaspillage !)
Cela se passe à la ferme, évidemment, on ne va pas demander à Trauner de fabriquer les décors, et puis c’est bientôt le cinéma de la Nouvelle Vague et on tourne en paysages réels.
Alors voilà les pompiers (pim pom, pim pom pim pom etc…mais vous pouvez continuer !) avec les moto pompes, les auto pompes, les vélo pompes, ils déroulent de longs tuyaux et s’aperçoivent au dernier moment qu’ils ne disposent d’aucun point d’eau, pas le moindre ruisselet, et justement les puits sont à sec et même les rus ne débitent plus.
D’ailleurs trois cruciverbistes se sont suicidés la semaine précédente.
Alors, pas cons, les pompiers demandent qu’on leur serve à boire et les fermières ont vite fait de trouver des tréteaux sur lesquels elles disposent des planches et, miracle, voici plusieurs dizaines de mètres de comptoir :
Déception des femmes (été 1949)
- Allez chercher le picrate et tant pis si vous n’avez plus de Chambertin, nous boirons du Chasse Voisin, ensuite nous le pisserons en direction des flammes et croyez moi, quand il sera éteint, vous passerez toutes à la casserole !...Et vous verrez comment, avec nos tuyaux personnels, nos tuyaux à nous, qui sont d’un calibre sensiblement plus important que ceux que les normes de pompage ont codifiés, nous pomperons et nous saperons en même temps puisque nous sommes des sapeurs pompiers.
Ils ajoutaient parfois :
- A cré vingt dieux !
Pour faire couleur locale. Le sens artistique des paysans est trop souvent méprisé par les grands artistes, qui réduisent leurs activités à des gestes futiles, je pense au « Glaneuses » (ou « Glandeuses » ?) de Millet.
Retour au feu.
Et puis ils burent, éteignirent le feu comme ils l’avaient promis et les femmes s’étaient déjà placées en position pour qu’on éteigne leur incendie à elles.