La remise d’une médaille peut donner lieu à une cérémonie mondaine, un peu guindée et même très conventionnelle. Disons tout de suite que la personnalité du récipiendaire nous met, avec Alain Nonnet, à l’abri d’une telle ambiance.
D’abord, je ne voudrais pas donner dans l’hagiographie, mais Alain Nonnet est, avec le Musée St Roch et la Tour Blanche, un des monuments historiques d’Issoudun. Non pas qu’il ait pour lui l’antiquité ! Il sort à peine de l’adolescence, mais, malgré tout, il donne l’impression d’avoir toujours été là. Le temps n’a pas de prise sur lui, et j’attribue ce phénomène à la qualité de sa berrichonnitude. C’est en effet, un pur produit du terroir berrichon et, à ce titre, il porte haut les couleurs de sa ville, haut et loin, allons ! ne lésinons pas : sur toute la planète. Non, ce n’est pas suffisant, sur tout le système solaire. Alain n’aurait même pas besoin d’étoiles, c’est une étoile qui devrait porter son nom !
En ce mardi 25 mai 2010, il réjouissait le cœur, et le palais, de plusieurs dizaines de ses amis, littéralement inspirés par sa divine présence ! On lui remettait la médaille de l’Ordre Mondial de l’Académie Culinaire de France, pour ses 50 ans de bonheur gastronomique, largement partagé avec les autres, quels que soient leur origine, leur profession, leur milieu social.
Une cérémonie simple en apparence, mais véritablement magique, au cours de laquelle Jean Claude Daumy, Bernard Gagnepain, Jean Miot et Gérard Dupont, président de l’Académie Culinaire de France, allaient se surpasser ! Une véritable joute oratoire, sans vainqueur ni vaincu, au cours de laquelle chacun eut à cœur de donner le meilleur de lui-même, devant un public enthousiaste.
Evidemment, quand on dit « Alain Nonnet », on rassemble sous son nom toute la famille et toute l’équipe de la Cognette. Nicole, toujours discrète, prévenante, et tellement attendrissante. Isabelle et Jean-Jacques, les enfants et les héritiers de cette passion de la saveur de vivre, passion de la saveur, qui est aussi la passion du savoir, car les deux mots sont, étymologiquement, les mêmes. Or, ces métiers de passion, ne nous cachons pas la vérité, disparaissent les uns après les autres. C’est qu’ils supposent un cœur, c'est-à-dire un courage et une fidélité à toute épreuve, et dans ce monde purement matérialiste, Alain Nonnet est animé de la foi en l’homme, peut-être de la foi tout court, une foi dont j’ignore la nature exacte.
Vu sous cet angle, on peut se demander s’il représente une survivance ou une forme de résistance. Je penche, évidemment, pour la seconde interprétation. Cet îlot de résistance tranquille, que constitue la Cognette, est un exemple qui va bien au-delà de la gastronomie telle qu’on l’évoque généralement dans les guides, et telle que se la représente souvent le public. Car la Cognette n’est surtout pas un établissement réservé aux riches. On va à la Cognette comme on allait à l’église, quand le peuple croyait encore à un idéal. On y va donc comme vers un lieu de culte et, en même temps, avec la bonhomie et la franche bonne humeur populaire.
Au moment où la culture française est en train de sombrer, Alain Nonnet réalise ses chefs d’œuvres culinaires comme Balzac rédigeait ses livres. La passion ne le quitte jamais, elle le rend en quelque sorte immortel, je veux dire qu’il est à l’abri du temps. Si l’on relit « la Rabouilleuse » (mais qui lit encore aujourd’hui ?) on est ahuri devant la description que Balzac fait d’Issoudun ! Devant la précision des explications, devant la qualité presque gustative de l’écriture. Et il retrouve ainsi la profondeur poétique de cette ville, l’esprit de ses habitants, je ne vais pas encore dire « l’âme », on va me prendre pour un curé qui veut infiltrer l’école laïque !
Eh bien, Alain Nonnet est animé de ce même zèle quasi religieux, et de cette bonté naturelle, qu’il distribue généreusement autour de lui. A la fin de la cérémonie, Alain, saisi par l’émotion, fondait littéralement en lisant son texte de remerciements. Il fallait l’intervention discrète de Nicole pour qu’il continue, et là c’est encore une autre leçon d’humanité.
Les applaudissements qui ont salué la fin de la cérémonie étaient bien ceux d’une foule de fidèles : ils venaient du cœur des gens, et c’est tellement rare aujourd’hui !
Je suis bien loin du langage publicitaire, et si je vous dis qu’il faut aller à la Cognette, c’est pour ce plaisir rare de ne pas être pris pour un simple consommateur mais pour, selon la formule de François Villon, « un frère humain ».
Rolland Hénault