Toutes ces commémorations des guerres, je trouve ça indécent. Ignoble. Tous ces récits, en effet sont rédigés, poussivement, par des rescapés. Des ratés de la guerre. Des trouillards… des pauvres types qui n’y connaissent rien. La preuve, ils sont vivants.
Jamais, les anciens combattants rescapés des guerres n’ont raconté leurs aventures. Ils ne s’en vantaient pas. Parce qu’il n’y avait pas de quoi se vanter. Victime ou tueur, c’est rien qu’une question de chance. Et voilà pourquoi ils fermaient leur gueule, les poilus.
Et moi je peux vous donner l’exemple de mon grand père. Alphonse. Il l’avait faite la guerre de 14, et jamais il n’en parlait. Pourtant il avait un air féroce avec sa moustache qu’il remontait jusque sur ses deux oreilles. Ah ! c’était un poilu, un vrai poilu. Et il y en a eu plein d’autres, des poilus pleins de poils comme lui. Comme celui qu’a dessiné Siné.
Tout recouvert de poils. De la tête aux pieds. Alors quand je voulais lui faire une bonne blague, à Alphonse, je le menaçais sournoisement.
C’était une ruse de guerre.
J’étais son barbier, je lui passais le rasoir électrique autour des moustaches et c’est là que je mesurais son patriotisme. Je lui disais : « Alphonse, je suis désolé, mais je viens d’entendre à la radio, un ordre de grève de la CGT. Faut cesser le travail immédiatement ! ». Faut voir comment il devenait vert en moins d’une minute : « Encore un coup des boches ! J’aurais dû les tuer tous… » Alors je revenais, cinq minutes plus tard. Il n’avait rien entendu Alphonse, forcément, le bruit de la grosse Bertha, ça l’avait rendu sourd. Donc je lui annonçais la bonne nouvelle : « La CGT a donné un contre ordre : « Reprise du travail immédiatement ! » Il était content, Alphonse, il allait pouvoir en tuer à nouveau des Boches. En rêve, bien sûr. Mais c’est déjà ça, il rêvait qu’il tuait des boches…
Parfois, je lui assénais une fausse nouvelle. « On a reçu l’ordre de couper la moustache…d’abord la droite… »
Ca le mettait en rogne, Alphonse ! « Ah ! pour sûr que je couperai pas ma moustache, même à moitié… ou alors il faudrait que je l’échange contre cent boches… » Il réfléchissait, il se calmait. « … Un seul, ça suffirait… je le capturerais et je le mettrais en cage… Je le montrerais dans les foires. Ca me rapporterait davantage que la retraite du combattant… »
Au fond, ils sont pas méchants les poilus de 14-18. On dirait qu’ils savent que les gars d’en face, c’est des pauvres comme eux.
Je vais vous dire, Alphonse, il aurait mérité d’être le poilu de Siné !