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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 09:47

 

Mais on est où, exactement ?

Encore une excellente question.

On est toujours à l'Eternel Repos. Plus précisément, dans le bureau de monsieur le Directeur, qui est situé stratégiquement au premier étage et qui donne sur la cour d'honneur. Arnesse m'a offert l'hospitalité.

- Que tu restes quelques jours, voilà qui serait une bonne chose... je te propose l'appartement circonvoisin du mien. Un très bon poste d'observation... à moins que tu ne préfères te déguiser en vieux...

- Ecoute, Arnesse, c'est impossible...

 Il insiste.

 Il en rajoute, même :

- Je t'assure, c'est à peine un rôle de composition... en fin de soirée tu claudiques...

- Je claudique pas... je me déhanche un peu, pour me reposer...

- Je te dis que tu claudiques... même, des fois, tu boites... et puis t'as vu ces taches sur la peau...

- C'est des grains de beauté...

- Des taches de vieillesse, mon vieux... t'as la peau des mains toute ridée...

- Tannée, hâlée... pas ridée!

- Je t'assure... tu te vois pas, mais tu ferais un octo très convainquant...

- J'ai cinquante six ans!...

- J'en ai bien un de trente sept ans...

- Je suis pas breton, je suis pas vieux, je suis pas ridé, je suis pas catholique, je claudique pas... je bois relativement modérément, je me déplace avec une certaine élégance, un peu chaloupée, je suis un homme entre deux âges, et tu vas voir, dès mon installation, tes infirmières, elles vont pas s'y tromper... j'ai même peur de semer la perturbation dans le service...

Arnesse abandonne la lutte :

- Te vexe pas... pour un sexa, t'es pas trop abîmé... j'en ai vu des pires... j'ai dit ça comme ça...

- Ecoute, moi j'ai une autre idée...

- Je suis prêt à écouter toutes les suggestions, fussent-elles jaillies du cerveau d'un sénescent !

- Eh bien voilà, le père Eugène.

- Le père Eugène, quoi?

- Le père Eugène, l'Ugène comme tu dis... ce gars là est un malin... il sait sûrement quelque chose. Seulement, il est pingre... il causera que donnant donnant...

Arnesse bondit !

- C'est bien le monde à l'envers! Ca c'est trop fort, je vais payer mes pensionnaires... tu débloques, t'es pas sénescent, t'es sénile... dangereux même...

Il a mis la main sur le bigophone.

- J'appelle le Centre de Psychothérapie du Vieillard, qu'y z'envoient le SAMU en extrême urgence, et l'hélico juste après... t'as un fusible qu'a pété, il y a pas une seconde à perdre...

Alors, d'un coup absolument prodigieux, je lui ai rabattu ma paluche musclée sur ses doigts grassouillets et le téléphone s'est aplati comme une bouse de Bourganeuf sur laquelle eût roulé un tracteur de la même région.

 Alors il a compris que j'étais encore un homme, un vrai !

- Ecoute, on arrête les conneries, sinon je me casse. D'ailleurs l'Eugène, tu fais semblant de le payer, tu lui augmentes d'autant le tarif de sa pension... et puis il va t'apporter des clients...

 Le voilà quand même un peu apaisé:

- Franchement, je suis pas emballé par ton plan. Mais j'ai guère le choix. Je sais pas si t'es de mon avis... on est des vieux potes...

- Des vieux potes, mais des hommes, des vrais, et encore jeunes !

- Faut pas qu'on s'engueule!

- Faut pas !

- Sinon, l'affaire est foutue...

- Entièrement d'accord...

- Je vais te dire ce qui nous a énervés...

- Dis-le...

- On est là, tous deux dans un polar... quasiment seuls, dans un lieu clos... la tension monte. Ce qu'il nous faut, c'est un peu d'air. L'astre du jour lance des rayons de plus en plus obliques...

- C'est exact... obliques...

- La nuit marche à petits pas...

- Tout petits... vraiment très petits...

- On avait promis des piafs au lecteur...

- Il les aura, fais-moi confiance, parce que c'est bon pour nous d'abord, et ensuite parce qu'on sait tenir nos promesses.

Alors on est descendus dans la cour d'honneur parmi les plantes aux noms latins. Les piafs étaient là, en quantité surabondante.

Il y avait le passereau de la Souterraine, le roitelet de la Courtine, le rossignol de Crouillat-en-Combrailles. Mais c'est pas tout. Car en plus, le troglodyte mignon, appelé aussi robry ou rouzby dans certaines régions, commençait à lancer ses stri stri , tandis que le pinson des arbres, appelé aussi tahin dans certaines régions, lui répondait par son fameux fink fink qui se termine traditionnellement par un iack iack des plus mélodieux.

Pendant ce temps, le moineau, le chardonneret et l'hirondelle, les accompagnaient de leur stig-lit stig-lit pour le premier, de leur zi-wit zi-wit pour les autres. Je ne connais malheureusement pas la traduction exacte de ces langages, mais ils produisaient une harmonie particulièrement touchante et bien propre à réconforter des hommes tourmentés, comme nous, par un aussi terrible secret.

Dans les berberis funambula, les fauvettes à tête noire, les rouges gorges et les pouillots fitis (appelés aussi Touïte dans certaines contrées) lançaient des trilles qui n'étaient pas loin de constituer des sérénades, voire des mélopées, peut-être même des symphonies pastorales.

 Le prunus ombrella balançait ses palmes vermiculées près du couillus enculeris, qui s'agitait au rythme des larges feuilles mordorées du clitoridium fessu, dans lequel chantaient la fauvette grise, le bouvreuil ordinaire, la mésange bleue, la pie voleuse et le torcol fourmilier. L'engoulevent d'Europe faisait entendre son fameux err-eurrr, bien connu des ornithologues. Le traquet motteux rasait le sol, comme un coiffeur fou qui ne reconnaît plus les joues de ses clients, en lançant son fameux cri d'appel: tac tac vitrec tac tac vitrec tac tac vitrec tac tac vitrec (c'est un peu agaçant à la longue, mais je me suis documenté, en principe la femelle devrait arriver dans les trente secondes... bougez pas, la voilà, observons un instant les jeux d'amour de ces créatures angéliques. Le mâle sautille d'abord sur la patte gauche, puis il sautille sur la patte droite en poussant le fameux tac tac en cadence pendant que ses ailes se hérissent et que son col se rengorge. Alors, la femelle, subjuguée, le regarde d'un air ahuri en écartant les pattes, le mâle tourne cinq fois autour, tout ça sur la même fragile brindillette, il est habile, le mâle, alors la femelle s'allonge sur le dos comme tout le monde, mais le mâle est un fier oiseau ah ça oui il est fier ! et un peu macho alors il lui dit à la femelle :

- Femelle, je t'ai dit en levrette!

Et la femelle s'exécute, ce qui est particulièrement difficile tout ça sur une seule brindille, pendant qu'on entend les tac tac vitrec qui sont vachement agaçants à la longue, elle en a du mérite, la femme du traquet motteux, surtout que lui, il fait le mariole mais en réalité il est équipé d'un très minable instrument, on le voit même pas au milieu des plumes, moi je dis qu'elle a bien du mérite, oui, la femme, dans ce milieu-là, et j'insiste pas sur la fragilité de la brindille, certains jours il y a du vent, ça balance fort et puis il y a d'autres oiseaux c'est chacun son tour d'être sur la brindille !...

 Il y a le martin-pécheur qui fait la queue avec sa femme, lui aussi !... et la bergeronnette grise avec son amant, elle s'envoie en l'air avec l'étourneau sansonnet, qui est sensiblement plus gros, ce qui ne facilite pas les choses ! Et le pic-vert, lui, quand il a fini de becqueter les troncs d'arbres, il revient du boulot, c'est le soir, une rude journée, il a peut-être envie aussi de se donner un peu de bon temps, vous trouvez pas ça légitime ? Et le loriot jaune, et la sittelle torchepot, c'est pas parce qu'on a un nom à la con qu'il faut en plus se priver des pauvres joies de l'existence !

Et l'ortolan, vous croyez qu'il passe toute sa vie sous une couche de sauce à la canelle dans les restos de luxe ? Sûrement pas, c'est un chaud lapin, l'ortolan, avec des pulsions très fortes, comme le grimpeur familier, mais lui on s'en doute, rien qu'au nom. Et il y en a d'autres, des petits oiseaux, comme la bécassine, l'épervier de Maheux, l'aigle de Meaux etc... tout ça dans la Creuse et entre parenthèses s'il vous plaît!)

Avec Arnesse, on est restés sidérés devant une telle abondance ornithologique, devant une telle luxuriance faunesque, devant une telle profusion animalière ! Et encore on s'est pas vraiment intéressés à la flore, qui est extrêmement diversifiée aussi. A Arnesse, ça lui a même donné une idée :

- Si on allait au troquet...

- Au troquet motteux?...

- Mais non... dans un estaminet... siroter une bonne bolée de cidre du pays.

- Où t'as vu un estaminet ?

- Faut pousser jusqu'à Marouillat-le-Marneux... après c'est au coin de la route de Serculeix- sur-le-Fion...

Je lui ai dit que c'était peut-être pas une mauvaise idée, parce que j'en avais ma dose, des moeurs des oiseaux dans les branchages latins de l'Eternel Repos. Des oiseaux, il en faut, je suis d'accord, mais on n'est pas obligés de les regarder tout le temps, sinon ça fait comme la télé, on sature et on s'instruit plus.

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