Bien que je n’aie jamais accouché à la clinique du bon docteur Ploquin, je peux dire qu’il a accompagné mon existence pendant plus de quarante ans. Nommé professeur de Lettres au Collège des Capucins (qui s’appelait un C.E.S) à la rentrée 1968, je l’ai très vite connu et d’ailleurs sa réputation s’étendait loin comme médecin généraliste et comme obstétricien. Je devrais dire aussi comme artiste.
J’avais la chance, au départ, d’avoir son fils Jean-Luc, en classe de 5ème. Max était membre du Conseil d’Administration de l’établissement et il ne passait pas inaperçu. Il profitait toujours de sa situation pour transmettre aux jeunes son savoir, et d’abord il projetait plusieurs films sur « l’Accouchement sans douleur », qu’il accompagnait souvent d’une causerie sur les réflexes de Pavlov.
Mais ce sont les séances du Conseil qui ne manquaient pas de pittoresque ! Par exemple, un jour, il avait proposé une conférence sur la masturbation ! Il faut se replonger dans l’ambiance d’octobre 1968 pour mesurer l’audace de ses interventions. Une partie de l’assistance baissait la tête, et l’autre souriait d’aise tout en se retenant d’applaudir !
Car ces sujets franchissaient allègrement les interdits, non formulés, des règles de l’Education Nationale. Une répression de la parole s’était instaurée très vite après mai 68, mais la liberté d’expression allait revenir, insidieusement, très rapidement. On ne respectait plus le lexique ni les consignes données aux enseignants, atteints d’un virus grave : la psychanalyse et les idées libertaires.
Max continuait son œuvre civilisatrice. Il était notre voisin, rue Ledru-Rollin, après avoir exercé dans le sud du département, à Saint Denis de Jouhet exactement. On venait déjà le consulter de loin, des communes et des départements voisins. Ses adversaires grognaient sourdement, mais sa parole était désarmante !
D’abord, sa clinique ne sentait pas l’éther, mais bien plutôt la cuisine maison. C’était très rassurant, surtout si l’on n’avait pas peur des mots, volontiers provocateurs. Je me souviens de l’avoir consulté pour une migraine (si c’est vrai, une migraine, qu’alliez-vous penser ?) et il laissait la porte entrebâillée en disant haut et fort à l’adresse du client suivant : « …tu bandes plus…ne t’inquiète pas ! Ca va s’arranger… »
J’ai assisté à cette soirée d’une très haute tenue, alléchante si l’on peut dire, et qu’il avait organisée à la défunte « Salle Racine » devenue plus tard le « Centre Universitaire ». C’était en 1973. Le titre déjà : « Liberté- Egalité- Sexualité » était emprunté au livre de Michel Meignant, lui-même présent, et tous les deux répondaient aux questions de la salle. Le public était si nombreux que plusieurs centaines de personnes étaient restées dans la hall et même dans la rue…
J’espère ne pas commettre d’erreur mais Michel Meignant accordait à la parole des vertus curatives, ce que j’ai trouvé parfaitement exact dans ma vie d’enseignant. Je lui ai dit souvent, à Max : « Ta parole, c’est déjà un traitement médical ». Les profs ne devraient pas ignorer cet aspect de l’enseignement. Un cours est d’abord une déclaration d’amour !
Formulée de cette façon, l’expression passe encore mal, mais elle est profondément vraie. Si l’on n’aime pas les gens, on ne devient pas enseignant. On se recycle dans le nazisme par exemple.
Et c’est pourquoi Max accompagna aussi bien des jeunes atteints de maladies incurables, que des filles dans des situations difficiles. Je pourrais citer des cas précis mais il vaut mieux croire en Max Ploquin, sans anecdotes.
Pour finir, j’aurais aimé retrouver le récit autobiographique qu’il avait fait de sa carrière. Si quelqu’un détient ce document, et si la famille est d’accord, je crois qu’il faudrait absolument le publier. Il me l’avait donné « à corriger », il y a quelques mois, comme si j’avais été plus fort que lui.
C’est très « grand public », parfaitement acceptable à la lecture par tout un chacun.
On ne dit pas « adieu » à Max Ploquin, puisqu’il est toujours vivant parmi nous.
Enfin, nous l’espérons, parce que nous sommes obligés de constater que, parmi ceux qu’il avait aidés, il y a des crétins ingrats qui ont très largement contribué à sa chute.
Mais Max, contrairement à ces malheureux pauvres types, ne craignait pas de descendre dans « l’ascenseur social ». Lui qui avait tant donné pour les autres acceptait avec bonne humeur de passer de sa maison de style, ouverte à tous, à une habitation plus humble, près d’un boulevard qui faisait face à un établissement de restauration rapide.
Ensuite, il s’établit à la Zup, au deuxième étage, et il n’en souffrait pas. A peine avait-il quelques mots contre les « affairistes » qui l’avaient poussé un peu dans l’escalier des pauvres et qui étaient montés au plus haut, (enfin, ils le croyaient) dans la hiérarchie sociale en piétinant un mourant qui ne se pressait pas de mourir.
Il a continué d’exercer son métier, sans fautes, contrairement à ceux qui l’avaient descendu en « justice ».