Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 juillet 2011 6 16 /07 /juillet /2011 08:50
J’ai l’air fin dans cette salle d’attente, mon œil à la main ; je suis à l’étage gynécologie-naissance-avortage-pilule, entouré de femmes dans des états pas possibles. 
Moi, c’est pour l'ophtalmologue mais la salle est conjointe.
Je pense à la blague sur le zieutiste….. On dit l’oculiste….  C’est aux yeux que j’ai mal, disait le type….
En fait, j’ai des taches noires qui se baladent devant moi ; à chaque coup d’œil, on dirait qu’il y a manif de mouches rien que pour moi…. J’ai le vertige rien qu'en tournant le regard.Alentour, il n’y a que des femmes remplies d’espoir avec ce quelque chose dans le ventre qui les rend autre... Courageuses porteuses d’avenir, elles sont belles les habitées, le nombril en tournesol et le regard fiévreux.Je suis le seul mâle dans la petite pièce, mais l’état des troupes n’invite pas à la bagatelle. Dommage… 
Une adorable envahit l’espace et vient se poser à mes cotés, c’est une volubile qui me raconte que c’est son premier et qu’elle est contente d’être enceinte et que ça lui fait drôlement plaisir surtout que son copain vient de trouver du boulot et que comme ça il aura droit aux congés parentaux et que elle-même en cherche  dans les assurances parce qu’elle a un B.E.P compta. Je veux allaiter mes enfants , c’est important, qu’en pensez-vous ?
Je réponds que je ne l’ai pas fait pour les miens mais que cela doit être intéressant.
“Votre œil ça vous fait mal?”
“Non, sauf que je ne profite pas assez de vous…”
Elle rosit…. et sourit…. On bavarde un peu sur la cécité de son grand père qui avait un truc comme moi et qui est mort aveugle…  j’adore…. 
Elle est en train de me raconter la vie de Ray Charles quand entre une copine à elle. L’autre, c’est son deuxième, ancienne combattante elle se met à lui décrire des horreurs sur les peaux qui se tendent, se déchirent et restent flasques. Faut faire de la gym qu’elle lui dit …. Ça la temporise  miss Maaf...….
En face , une jeune fille… Femme?  Elle a l’air un peu triste, se bouffe les ongles,  j’ai l’impression qu’elle a déjà grignoté la première phalange. Elle me jette un oeil….
Moi, j’ai envie d’arracher le mien, la danse des drosophiles m'exaspère.. 
De l’autre coté de ma chaise, un couple fatal : lui lit pendant qu’elle se masse le ventre. Quand je vois la tronche des deux, j'espère qu’elle vient pour avorter… Ce n’est pas une question de beauté mais ils ont causé un peu, cela me suffit pour avoir envie de supprimer leur descendance. On pourrait sauver la mère mais lui…
Une vieille dame entre accompagnée d’une africaine ou quelque chose d’approchant qui y ressemble et qui doit être sa dame de compagnie car  le contraire me semble improbable de la part de l’ancêtre qui a tendance à blobloter façon gaga. 
"Je vous laisse, je viendrais vous reprendre tout à l’heure”.
 La vieille lâche sa canne anglaise en s’asseyant, je ramasse, humble, me disant que si ça se trouve j’ai l’avenir comme elle mais en blanc. Noirceur passagère.
Je prendrai quoi comme auxiliaire de vie ? Aveugle c’est plus le klébard spécialisé que l’effeuilleuse façon Crazy Horse. Remarque aveugle, tu t’en fous si tu ne peux pas tâter. Pourquoi pas un Saint-Bernard avec le tonneau mais sans le chien?
Alors que je me la joue Gilbert Montagné, la mémé me demande si le docteur “untel” est là, je réponds suavement “le gynécologue ?"  Elle me répond le regard vide “Non, c’est pour ma cataracte…” À  ce moment il y a une future nouvelle mère qui se lève et demande les toilettes. Aucun rapport...
J’ai hâte que le dénoyauteur se ramène, j’ai l’impression que mon milliard  de mouches se reproduit à vitesse grand V. Ça doit les inspirer la salle d’attente . C’est  la danse de Saint-Guy devant mes mirettes, et ça ne fait jamais qu’une heure que je suis là.
En arrivant à l’accueil j’ai demandé à voir le toubib.
- Le docteur ne reçoit que sur rendez-vous… m’a répondu la préposée en blouse sur tee-shirt moulé.
- Et je peux en avoir un pour quand ?
- Hola, monsieur !!! qu’elle interjette avec un joli mouvement de bretelle prête à glisser, vous savez, il est très demandé…
- Je m’en doutais , en même temps c’est le seul à trente bornes alentour, ça peut se comprendre. Sinon quand ?
- Pas avant deux mois… lâche-t-elle dans un souffle de gorge comprimée.
- Hein ? fais-je en manque de mots.
- Ben oui monsieur, surtout qu’il y a les vacances et les gens font faire les lunettes pour les enfants…
- Et en cas d’urgence ?
- Heu….. Le docteur les prend entre deux
- Alors je suis une urgence
- Ha ! Alors, attendez dans la salle !
Je la laisse se remontant les mamelles qui tentaient une échappée.
Et c’est comme ça que je me suis retrouvé cerné par des volumineuses de l'utérus et des loucheurs en attente de verres. Un grand type vient chercher la vieille dame. C’est le pote à Afflelou. Coté mémé, re-belote la canne par terre… Je ramasse tel un gamin à Roland Garros, manière à me faire bien voir du cureteur de lentille qui me demande pourquoi je suis là. Je narre. Il me dit d’attendre. Ce doit être une obligation, si t’as pas attendu une demi-journée, cela ne doit pas faire séreux… La vieille le suit ; à la vitesse où elle se déplace, je parie pour une heure d’attente supplémentaire pour ma pomme.
Deux gamines le ventre rebondi, mais chacune pour des raisons différentes, se pointe dans ma ligne de mire, c’est-à-dire dans l’axe de mon nuage de points noirs pire que l'acné qui grêle leurs joues. La première explique à l’autre une histoire de vingt-huit jours qui pousserait à la faute n’importe quelle femme pas très au courant. La seconde semble enceinte, le ventre n'a pas la même forme. Je la suppose victime de la désinformation de sa copine qu'elle écoute vaguement tout en se dandinant au son qui coule dans ses écouteurs. Le peu que j’entends m’incline à penser à l’embryon qui se farcit ça .
Quelques minutes plus tard, la vieille est expulsée gentiment par une large main qui la pousse vers la sortie.
- Attendez-donc dans la salle on va venir vous chercher.
- Venez monsieur ! C’est à moi qu’il s'adresse !!  Miracle de la médecine, je reprends espoir.
Je rentre dans l’antre et j’étale mon cas. Il ne me demande pas si je me drogue, m’injecte un liquide dans les yeux et me dit de retourner dans la salle d’attente que cela fasse effet. Mi-temps je suppose.
Dans le couloir de la vie, il y a un arrivage : une maman et quatre enfants. Voire plus car j’ai l’impression qu’il y en a encore dans le tiroir. Famille nombreuse, famille heureuse.
Á un moment , je me trouve face à la fenêtre, le soleil plein pot : ça m'explose la rétine. Les gouttes, sans doute… J’ai les yeux qui pleurent. Je sors mes lunettes noires, façon tout au bout de la nuit quand la maman me demande si ça va et dit à ses mômes d’être gentils parce que le monsieur est triste. Normal, avec la tronche que je fais on pourrait croire que je viens de perdre quelqu’un ou quelque chose. 
Je rassure la tribu en leur expliquant l’opération goutte à goutte dans l’orbite. Un des petits se marre et me demande c’est quoi la bite. Levée de main de la mère que j'intercepte de mon œil valide en lui faisant remarquer que c’est moi qui ai mal prononcé et que le gamin ne sait pas de quoi il retourne. Á quoi bon attirer son attention si tôt  ? La mère acquiesce. Elle regroupe sa troupe mais sa fillette qui doit avoir trois ou quatre ans, vient près de moi et me souffle “moi, je sais ce que ça veut dire ”. J’ignore son sourire enjôleur mais j’aimerai savoir comment elle a appris ça… La maman est venue pour tout le monde rapport  à leur vue, on est myope dans la famille et aussi pour son état. J’avais remarqué l’ensemble.
Un type arrive un peu essoufflé en demandant si on l’a appelé. Ne connaissant pas son nom, je ne peux qu’avouer mon ignorance. Le redresseur de cornée réapparaît et lui dit d’entrer. Petit quart d’heure. Retour du retardataire qui a les yeux dans le même état que moi.
Le spécialiste de la pupille s’adresse à la mère multiple : “Bonjour madame, c’est à vous”, le vous désignant sans doute la future équipe de basket. J'angoisse sur mon emploi du temps.
Mama and co se lève pour le suivre dans le cabinet mais l'obstétricienne apparaît et lui dit ” Bonjour , madame, vous venez”.
Elle est mince à décourager toute tentative de paternité, ces clientes doivent la reluquer jalouses. Elle tourne un regard de piscine vers moi et le toubib ”j’ai du retard dans mes rendez-vous et…”
Le trépaneur d’optique lui sourit jusqu’au lobe des oreilles ”priorité à la fécondité”. Elle lui rend son sourire et  fait signe à la colonne par deux qui change de cap et s'engouffre dans le couloir derrière elle.
Le p’ticien se retourne vers moi après avoir déposé son sourire :  “Venez monsieur “. Dans ma tête ça hurle “Yes !!!”
Le triturage de mes globes oculaires se passe pas trop mal, écrasement, éblouissement, j’aperçois des vaisseaux dans une sorte d’éclairage boite de nuit.
Le docteur ne me dit pas un mot , ce qui me fait présager une réflexion intense sur les miches de sa collègue ou sur mon sort à la Michel Strogoff.
Après m'avoir bien malaxé les mirettes, il me lâche : “ Bon, ce n’est pas trop grave mais il faut surveiller ”. Je mijote dans ma tête “c’est ça, on fidélise la clientèle par angoisse préalable”.
Enfin, je sors, non sans lui avoir serré la main qu’il ne me tendait pas mais comme je suis sauf, je déborde d’amour pour mon prochain.
Dans le couloir, je croise la tristoute aux doigts rongés. Elle a changé d’air  et semble toute contente .On se sourit bêtement, moi plus qu'elle... Je ne saurais jamais ce qui l’a délivrée…
Partager cet article
Repost0

commentaires