Je me tue à le répéter chaque semaine ici, dans l’Echo Culture du vendredi : il faut surveiller le vocabulaire, sinon, on dérape ! Déjà, déraper : le mot s’emploie, dans un contexte sexuel. Ne laissez pas l’Echo à la portée des enfants, surtout s’ils sont âgés de moins de six ans et n’ont donc pas encore le droit de porter des armes dans leur cartable !
Car le dérapage est le fait de glisser de côté. Or, je vous prie de m’excuser pour ce lexique médical, mais l’homme qui dérape, avant les lois sur la contraception surtout, est celui qui ne se « retire pas complètement ». Une affiche célèbre de mai 68, signée Wolinski je crois, montre de Gaulle baisant la République et disant « Non, je ne me retirerai pas ! ».
Je reviens au dérapage et surtout à la formule couramment utilisée à propos de l’école : « l’escalade de la violence ». Je trouve que l’emploi de ce mot, « escalade », est dangereux. Il évoque un sport parfaitement moral, le ski, où nous obtenons de nombreuses médailles. On oublie que les synonymes, en langage « hard », sont : « grimper, enjamber, monter ». Brassens dans une chanson célèbre (Les trompettes de la renommée, sauf erreur !) parle « d’escalader le Mont de Venus », qui n’est pas un sommet alpin, mais une montagne alpine, à cause de la sonorité finale.
Pourquoi ce début gratuitement pornographique ? Pour vous mettre en bouche, ou pour prendre langue, choisissez vous-même, puisque vous êtes incurablement branchés sur l’érotisme.
La violence à l’école, avec ou sans enjambement (sauf en poésie) m’intéresse d’autant plus que l’on raconte cette belle connerie : « Ca a toujours existé ! »
Alors là, non, c’est un mensonge !
Avant que le marasme économique et social ne s’installe en France, la violence à l’école était rare. Cette violence est directement liée à une politique d’appauvrissement des plus pauvres, aux licenciements, au chômage, à la misère. Misère du langage, misère de la réflexion, misère matérielle.
En 1968, je rappelle qu’on recensait 500 000 chômeurs, qui retrouvaient souvent du travail. Aujourd’hui on ne sait plus comment les compter, mais avec les critères de 1968, on dépasserait allègrement les sept à huit millions.
Pour accueillir ces nouveaux pauvres, les états, imitant le système étatsunien (néologisme qui semble bien fonctionner) utilisent la prison, mais aussi, et on l’oublie souvent, l’école, de la maternelle à l’enseignement dit supérieur. Il s’agit de garder, ou au moins de parquer la jeunesse en rendant plus ou moins complètement impossible toute forme d’enseignement. Il faut, en effet, déculturer la population. Un peuple sans culture redevient barbare, ce qui est au centre du film « la Journée de la jupe », honteusement censuré par les distributeurs de films, (Pathé) alors qu’il avait fait un tabac sur Arte. Ce film est dangereux pour le pouvoir des multinationales.
Le chômage est au centre de la crise actuelle, qui n’est même plus une crise, mais la solution finale de l’Education Nationale ! Car il entraîne la dispersion des familles, la vulnérabilité des jeunes, les vols, les viols, les meurtres, et, pour corser l’ensemble, tous ces dispositifs dits « sécuritaires » qui ne font qu’attiser la révolte individuelle, une révolte sans portée réelle, qui est l’expression du désespoir solitaire.
Car qu’est-ce qu’une école, en France en 2010 ? Un lieu où l’on désapprend, où l’on enseigne les méthodes de marketing (rebaptisé « mercatique », attention les yeux !) au lieu de former les jeunes à la culture générale !
Puis-je rappeler Montaigne ? Je suis sincèrement désolé de devoir faire référence à la vraie culture ! Je cite le début de « L’Institution des enfants ».
Voilà ce qu’il dit, Montaigne : « …on ne recherche pas les lettres pour le gain, ni tant pour les commodités externes que pour les siennes propres, ayant plutôt envie d’en tirer un habile homme qu’un homme savant. »
Oui, je sais, vous n’avez pas connu personnellement Michel de Montaigne, vous êtes plus jeunes que moi, alors je traduis : on n’enseigne pas pour des avantages matériels, et surtout pas pour apprendre à vendre, mais pour les « moeurs et l’entendement », c'est-à-dire pour acquérir une valeur morale en même temps que l’intelligence, la compréhension du monde où nous vivons.
Or, le peuple de 2010 n’est pas plus bête que les criminels qui dirigent la planète. Il comprend très vite que les maîtres du monde sont des voleurs, et que leurs revenus sont indécents. La plupart des jeunes voient très bien que cette société en est arrivée à un tel degré d’injustice qu’il n’est plus possible que ça dure. Alors, ils se déchaînent, les jeunes, mais sans trop savoir où ils vont, quand ils ne sont pas éduqués. Et cette parodie de liberté sexuelle, qui fait répéter sans cesse le mot « bite » à ce pauvre Bigard, ce n’est pas la liberté, c’est une image d’avilissement et d’oppression. Ca autorise les fameuses « tournantes », chez les plus pauvres évidemment.
Car pour employer tous ces mots réputés obscènes, il faut le faire avec art, (moi qui vous parle, je pratique un art difficile ! Jongler avec les couilles du pape demande un apprentissage !) il faut comprendre que c’est de l’art, il y faut du doigté. Le viol et la prostitution bestiale aux ordres des maquereaux ne sont pas des attitudes d’homme libre, mais le pire des esclavages.
L’érotisme et l’amour libre sont les véritables expressions de l’art d’aimer, depuis les origines du monde. Et si l’escalade doit continuer, que ce soit au moins celle que chante Brassens !