Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 10:49

Chapitre important

- C'est important parce que, tu vois la fenêtre du palier, entre la salle de télé et l'amphi... eh bien on croit que c'est là qu'ils disparaissent, nos bons vieux, nos chers bons vieux, nos bons vieux du bon vieux temps jadis...

- Allons c'est pas le moment de s'attendrir, mon vieil ami! Ainsi va la vie... tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse...

Je sais pas si c'est bien un bon proverbe, pour les circonstances...

 Si!...

- C'est par là qu'ils se cassent... t'as compris. Et voilà le problème où il se situe, géographiquement je veux dire.

 Seulement, il suffit pas de le situer géographiquement, le problème, il faut le résoudre. Et il est là, énorme, terrifiant dans sa simplicité rustique, presque incroyable tellement c'est énorme : en 1995, près de Guéret dans la Creuse (23), dans l'Etablissement répertorié au registre du Commerce sous l'appellation "L'Eternel Repos", des vieillards disparaissent. Exactement, huit depuis un mois!

 Une catastrophe!

 Une calamité agricole! Sauf qu'elle est commerciale.

- La terre nourrit plus son homme, ça on le savait depuis longtemps, mais voilà que la crise frappe le tertiaire!

 Arnesse est quasiment sinistré, il a perdu huit clients sûrs, attachés à leurs fauteuils, branchés sur leurs télés.

  Huit. Deux fois quatre. Ou, si l'on préfère, quatre fois deux!

 C'est un chiffre, huit. Si vous le multipliez par huit mille, mettons, qui est le tarif mensuel de la pension, ça fait combien? Ca fait 64000.

 Enorme. A la ligne.

 Arnesse court à la faillite ! Il faut arrêter l'hémorragie, vite, faisons quelque chose!!!... mais quoi ?... Je vous le demande, vous répondez pas. Evidemment, c'est pas facile... D'abord il faut pas prévenir la police, ça énerve les vieux, ça énerve les jeunes, ça énerve tout le monde. Il faut JAMAIS prévenir la police, je le répète dans tous mes polars, même les plus mal foutus, la police au poste de police et les vaches seront bien gardées.

 Il faut agir seuls. En francs tireurs. Que deviennent ces disparus? On n'en sait rien. C'est le propre des disparus, d'ailleurs, inutile de s'attarder, quand un disparu disparaît, on ne sait JAMAIS où il est ! Sinon, ce serait un rescapé, un mort, un blessé, un fou, un amnésique, un insomniaque aveugle qu'a pas vu qu'il faisait jour, mais ce serait pas un disparu. Très bon raisonnement.

 Second point: par où disparaissent-ils ? Par la fenêtre du premier, on l'a déjà dit.

 Comment on le sait  ? On a retrouvé des morceaux de bretelles, des charentaises, des vieilles montres de vieux, des vieux mouchoirs de vieux, à carreaux (les mouchoirs, les vieux sont unis, juste un peu mouchetés à cause des taches qui prolifèrent sur les peaux de vieux, c'est pas grave) à cause du tabac à priser de vieux, à cause des vieilles médailles du travail qu'on a retrouvées, à cause des photos de vieux, jaunies, à cause des cachous Lajaunie, à cause des bandages herniaires de vieux, à cause des cartes d'anciens combattants, c'est pas difficile, un vieux quand ça disparaît par le premier étage, ça laisse échapper plein de souvenirs de vieux, le Petit Poucet à la place c'est un rigolo avec ses caillasses blanches, on voit que c'est un jeune, sans souvenirs de vieux.

 Si vous voulez, on appellera tous ces objets hétéroclites, des indices, ça fera plus polar, tout le monde sera content.

 Nous voilà donc en présence d'indices, nombreux, variés, diversifiés, conduisant tous à des pistes. Mais les pistes c'est une façon de parler, car il faut trouver les messages qui indiquent maintenant la direction à prendre. Et ils sont pas inscrits sur des panneaux, les messages. C'est pas comme le rallye que vous avez fait avec toute la joyeuse équipe des employés du bureau, à la Sécu.

Ah là c'était facile, on monte dans la R5, on fait équipe avec Ginette, celle qu'a les gros seins,  la mini-jupe, et on se dit :

- Comme elle est myope, je vais faire semblant de passer une vitesse, je confondrai sa jambe avec le levier et hop c'est dans la poche!... Elle avec ses binocles, elle fera semblant d'être occupée à chercher les messages, elle me dira : Regarde! Marcel, y a un papier dans l'herbe, là... viens on descend, c'est la piste, et alors la Ginette elle se penche tellement qu'elle tombe à la renverse, je raconte pas la suite, allez vous la faire, la Ginette, moi je la connais, en tout cas, quand vous vous relevez, sur le papier il y a marqué : "continuez, vous êtes sur la bonne voie"...

(On peut raconter ça aussi au féminin, c'est la fille qui pilote la R5, tout d'un coup elle confond les vitesses avec la braguette, elle empoigne l'engin, elle dit: - "Michel, faut descendre, la première passe plus, faut que tu m'arranges ça...."

 Le papier c'est le même, à la fin tout le monde en voiture. Ca vous va, mes biches ?)

 Arnesse a étalé les indices sur une longue table, dans la salle n°62, celle où on met le rabe de cadavres, en hiver, en attendant que l'amphi se désengorge. On est là, les bras ballants, le cerveau en veilleuse. Des indices comme ça, ça sert à rien.

 Je lui dis franchement à Arnesse:

- Tous les vieux ont des saloperies comme ça dans les fouilles... c'est très conservateur, un vieux, ça croit que le paradis est mal achalandé en articles anciens. Ca a toujours peur de manquer. C'est à cause de l'Occupe, qu'ils ont bien connue, du Marché Noir, et puis c'est une manie aussi, ils s'accrochent au temps qui passe. Seulement c'est pas avec une vieille paire de bretelles d'occasion qu'ils vont le retenir, le Temps. Il se laisse pas attraper comme ça !

 Même les plus grands poètes ont essayé. En lui causant directement, des fois, et dans un sacré langage, autrement torché que le patois de la Haute Corrèze ou le baragoin de la Basse Marche !!! J'entends encore Lamartine, Alphonse de, à genoux, suppliant..."Suspends ton vol!..." qu'il lui dit, au Temps.

 Il a mis toutes les chances de son côté, une majuscule grosse comme ça,  le tutoiement noble, des sanglots dans la voix, le "ô" avec le petit chapeau pour que les courants d'air l'envolent pas... Rien! absolument rien. Aucun effet.

 Alors Alphonse, il remet ça, au pluriel du coup!  "...et vous heures propices, suspendez votre cours"...

 Emploi du pluriel, voussoiement, répétition insistante sur la nécessité de suspendre, rien qu'un moment... et le vol qui devient le cours !... il a fait le maximum, Alphonse, et que dalle!...

 Il est passé quand même, le Temps, facile, comme à l'accoutumée !...

 Je vais vous dire, s'il est aussi insensible aux spécialistes en poésie, et s'il s'arrête pas, le Temps, c'est pas devant le père Gustave ou la mère Gusse qu'il va seulement ralentir. Alors ça rime à rien ces vieilleries... Seulement Arnesse, il est coriace :

- Tu raisonnes en nocif... t'es pas en contact tous les jours avec les viocs....

- En novice, tu veux dire?...

- M'interromps pas inutilement... ces objets, à mon avis sont placés là pour embrouiller l'esprit des fins limiers que nous sommes... ils sont interchangeables, certes, et on le sait qu'ils sont passés là, les bi-centenaires... sauf si des fois, c'était une ruse des kidnappistes....

- Kidnappeurs, tu veux dire?... ah ça c'est un élément intéressant...

- Tu vois à mon avis, il y en a trop, des indices. Quand il y a trop d'indices, c'est plus des indices, c'est des objets parmi d'autres. Ca n'a pas de sens. Ou plutôt si. C'est pour nous enduire...

- ... En erreur, tu veux dire?...

- Nous enduire ou nous introduire, c'est l'un ou c'est l'autre, peut-être les deux, en tout cas, y a pas à sortir de là... Raisonnons. Es-tu prêt?

- Absolument...

- Alors voilà ce que j'ai cogité... les vieux  sont pas passés par là...

- Ca change peu de choses dans l'écheveau déjà très emmêlé de cette affaire tordue...

- Si!

- Explique toi, ami!

- Eh bien voilà !... les vieux se sont barrés par la grande porte, un à un, deux par deux, trois par trois, en colonnes, je sais pas, mais ils sont partis par la porte... Sinon, du premier étage, ils se seraient brisé les côtes, rompu les os, ratatiné les rotules...

- qui ondulent...

- Le sternum...

- Qui s'dégomme...

- Les tibias...

- Raplaplas...

- Ecoute, je crois que tout le monde connaît, on va revenir au sujet. Je te fais la note de synthèse, comme au concours de Directeur de Maison de Correction des Vieux. Voilà : huit vieux mettent les adjas, en trois fois, on laisse, trop apparents, des faux indices pour envoyer les flics sur une fausse piste, afin qu'ils fassent fausse route, trouvent de faux arguments pour conclure à de fausses disparitions. Pour moi, c'est la vraie faillite il faudra que je retourne aux faux billets, ça fait trop de faux... Ma conclusion personnelle ? L'ennemi est dans la place. Qui ? c'est à nous de trouver....

- Ne peut-on point imaginer l'espace d'un court instant, d'une brève supputation, disons, que ces créatures aux noms charmants et si court vêtues, en aient eu marre un beau jour, de tous ces vieux salingues qui leur tripotent l'entrecuisses avec leurs grosses pattes poilues pleines de toiles d'araignées, de mites, de pustules...

- Je t'en prie, n'insulte pas le quatrième âge...

- Excuse-moi, tu sais que j'ai mon franc parler. Les filles en ont marre, c'est normal, elles raccourcissent légèrement l'espérance de vie de ces vieux sagouins qui les harcèlent sexuellement...

Arnesse a pris un air soucieux, mais il n'est nullement ébranlé.

- Tu commences à faire fonctionner tes méninges, c'est encourageant, mais vois-tu, il faut aussi expliquer que parmi les huit enlèvements, il y a tout de même quatre vieilles, qui n'ont jamais tripoté les belles infirmières...

- C'était peut-être quand même des chieuses...

- Assurément !... mais l'argument n'est pas suffisant... et puis, ces infirmières sont hautement spécialisées, je t'ai expliqué bac+8, 10 parfois, non, elles ont la vocation, elles aiment les vieux d'un amour profond, essentiel, presque pathologique...

- Alors il faut encore changer de chapitre puisqu'on n'est pas sur la bonne piste.

- Ca me paraît indispensable pour la clarté de la démonstration.

Partager cet article
Repost0

commentaires