Michel Pinault nous a quittés mais il ne nous a pas faussé compagnie ! C’est ce qu’avait écrit Prévert au lendemain de la mort de Boris Vian. La formule vaut pour Michel Pinault.
Oui, Michel Pinault n’était pas un faussaire ! Au contraire un homme de vérité. Et la vérité il l’assénait avec élégance, parce qu’il était très bien élevé, Michel, mais il n’avait pas une élégance de salon, il avait la délicatesse de la culture humaniste. Et quelle intelligence du monde, un monde, dont il me disait : « Ah mon cher ami ! Je quitterai ce siècle sans regret ! »
Et dans ce jeu sur le langage, il me vouvoyait, puis revenait naturellement au tutoiement. Et parfois, il ajoutait, à l’attention d’une personne médiocrement cultivée et prétentieuse : « C’est une vieille conne ! » Et les mots résonnaient très haut et ils vous frappaient au cœur.
Michel Pinault je le connaissais par ses anciens élèves, qui le révéraient. Par l’effort herculéen qu’il avait fait pour reconstituer le dernier livre de Raymonde Vincent, « Hélène », publié chez Christian Pirot.
Mais surtout, j’avais appris à le connaître quand les éditions de la Bouinotte avaient réédité « Le temps d’apprendre à vivre ». Nous avions réalisé ensemble une vidéo, avec William Etiève, vidéo qui accompagnait une exposition sur Raymonde Vincent. Au cours des discussions qui suivaient la projection, il tenait à l’exactitude extrême de ce qu’on prenait pour un détail. Par exemple, il corrigeait : « La famille de Raymonde était pauvre mais pas misérable ! »
Il tenait à montrer, lui, le germaniste, que Raymonde Vincent avait une connaissance intuitive de la culture allemande, qu’elle apprenait très vite la langue allemande, non pas seulement la lettre mais surtout l’esprit :
« Ce n’est pas les boy scout du Tyrol qui l’intéressaient mais la Prusse…Comment un peuple avait pu sombrer dans le nazisme…Et elle comprenait très vite, en remontant aux origines, aux temps obscurs de la Prusse, à la nuit prussienne, aux vieilles légendes dont ce peuple ne s’était pas encore débarrassé. Elle faisait remonter loin les racines du nazisme, aux vieilles époques des forêts sombres qui hantaient encore le peuple de la Prusse, ce peuple qui essayait de maîtriser son histoire très ancienne par une attitude mécanique, ce peuple qui avait besoin d’une politesse superficielle, ostentatoire, pour tenir en laisse « la bête immonde ». Ce peuple trop bien élevé, trop poli, trop respectueux des marques extérieures de la politesse.
Cela cachait quelque chose de terrible ! La bête n’était pas morte, le monstre sommeillait seulement ! Michel avait compris que Raymonde Vincent avait senti ce phénomène et qu’elle était, à cause de cette profondeur, un très grand écrivain.
Michel était un esprit ouvert, sans aucun préjugé. Il avait vite fait de dépister l’imbécile, il ne lui en voulait pas d’ailleurs, il était prêt à toutes les indulgences pourvu qu’on reste dans le cercle de la culture. Je le reverrai toujours, parlant à son chien : « Dis donc, vieux con ! tu pourrais venir me voir !... » Mais la formule était affectueuse.
Michel aimait les bêtes et les gens. Je finirai par se devise : « Je marche, je bois et je lis. »
Un programme à suivre. Michel tu ne bois plus, tu ne lis plus (bien que…allez savoir !) mais tu marches toujours dans nos têtes !