C'est amusant d'écrire dans un journal communiste. On ricane, un peu autour de vous. Les copains vous traitent de « cryptocommuniste ». C'est un mot qui date de 1950, peut-être inventé par Simone, de Beauvoir, et qui signifie « partisan occulte du communisme ». Me voilà donc « partisan occulte ». Moi qui n'ai pour les histoires d'occulte qu'une médiocre considération.
On me qualifie aussi de « compagnon de route ». C'est moins savant, c'est plus champêtre, c'est presque écolo, pour ne pas dire routard. Seulement voilà. Je suis pas routard, je suis pas crypto. Alors qu'est-ce qui nous reste comme mot ?
Communiste.
On me traite jamais de communiste. J'aimerais ça, pourtant. Anarchiste et communiste. Il est beau, ce mot. Il signifie, au sens large, d'après Robert, le petit : « qui cherche à faire triompher la cause de la révolution sociale ». Il est synonyme de « égalitarisme ». J'ai beau me creuser le citron, je ne vois pas ce qu'il y a de choquant là-dedans.
Regardons de plus près : égalitarisme... égalité... liberté-égalité... La liberté, je suis bien d'accord, on sait pas trop ce que c'est. Je suis libre de m'acheter la même propriété que François Léotard, mais j'ai pas le pognon... Je suis libre d'acheter celle de la veuve Pelat, avec sa Rolls et les flics qui vont avec, mais j'ai pas le pognon... Le plus misérable des clodos est libre d'aller à Pétersbourg, mais il a pas de pognon, il s'arrête à Vierzon.
Tiens j'ai dit Pétersbourg. C'est parce que le maire de Pétersbourg était invité aux cérémonies du cinquantenaire de la libération de Paris.
Vous avez bien lu, le maire de Pétersbourg, pas le maire de Leningrad ! Faut croire qu'il y a eu le siège de Pétersbourg, pas le siège de Leningrad. Faut croire que Lénine a pas existé. Que jamais les Alliés n'en ont entendu parler. Ni même de Staline, qu'ils lui ont jamais serré la pince. Qu'il n'a pas participé à la seconde guerre mondiale, Staline.
Ils ont serré la pince, en réalité, à Pierre le Grand, tsar de toutes les Russies, qui a donné son nom à la ville : Pétersbourg. Une ville construite par des dizaines de milliers d'esclaves qui sont morts d'épuisement pour soigner la parano du grand homme.
Peut-être vous demandez-vous où je veux en venir ? Attendez un peu.
J'étais parti pour Pétersbourg, je reviens à l'égalité. C'est très choquant l'égalité ? Ça veut dire qu'un homme en vaut un autre. Pas plus, pas moins. Ça veut dire que tout le monde a le droit de bouffer la même chose, puisque tout le monde a le même estomac. Que tout le monde a droit à la même considération. Que tout le monde a le droit de vivre. Qu'il n'y a aucune raison pour qu'on voie des clodos misérables qui n'iront ni à Pétersbourg, ni à Matignon, et des riches à crever qui se bâfreront avec le fric volé aux pauvres. Que le dernier des vaincus de la vie est l'égal de M. Clinton, ou de M. Eltsine, ou de M. de Rothschild ou de M. Balladur.
Que même parfois, il lui est largement égal. Voyez où ça mène le cryptocommunisme !
Eh bien ça paraîtra peut-être extraordinaire, mais je suis pas le seul à réhabiliter ce terme maudit. Dans le dernier numéro de Charlie-Hebdo, on trouve sous la plume de Cavanna, cette phrase :
« Le communisme fait rire après avoir fait peur. On ne veut y voir que l'épouvantail désormais ridiculisé, on veut ignorer l'idée généreuse, trahie, et dénaturée ».
« L'idée généreuse », voilà ce que c'est le communisme. Alors je suis un cryptogénéreux ? Mais c'est pas une insulte, ça !
Vive le cryptocommunisme !
Rolland HENAULT (« Articles » volume 5 (1996-1989) - Editions de l’impossible)