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14 juillet 2012 6 14 /07 /juillet /2012 09:43

 

L’huile de foie de morue  (23 décembre 1947 probablement)

 Je me souviens que les domestiques les plus sournoises, ou les plus lucides, pissaient dans les bidons du laitier. Pour faire condamner leurs patronnes.

 Ca part d’un bon sentiment.

 Mais elles se donnaient du mal pour rien, la patronne n’était jamais condamnée. Elle avait simplement son nom dans le journal.

 Seulement, à l’époque, avoir son nom dans le journal, ça équivalait à une condamnation parce qu’ils disaient : « Elle a son nom dans le journal… il n’y a jamais de fumée sans feu ».

La patronne, on disait « la patronne », parce qu’elle était mariée avec le patron, on l’imaginait pissant directement dans le bidon du laitier.

 C’était idiot, en général, la patronne « mouillait » le lait. On parlait ainsi. Elle versait une cruche d’eau dans le bidon et la domestique allait pisser ailleurs.

Sans préavis.

  On répétait le mot « sans préavis ». Mais on n’expliquait pas.

 Je ne comprenais donc rien.

  J’adore encore « l’odeur balsamique des pins». Je m’enivre de l’odeur balsamique des pins! Un point c’est tout ! Je ne comprends rien non plus.

Il me semble que tout est dans « balsamique ».

  Dans un flacon tout proche, l’huile de foie de morue. Je ne saisis pas le rapport.

Il n’y en a pas.

 Mais tout de même, un foie de morue, ça doit être très gros, et puis ça va dans les fonds marins. Ou à la surface des mers et c’est déjà bien.

Pourtant ça tient dans une petite bouteille, comme le sirop des « Vosges-Cazé » ?

 Ils doivent pas mettre le foie en entier.

  Ils mettent pas non plus les Vosges en entier, sur le buffet de la cuisine.

  Finalement, je ne suis pas sûr que les chiens aient tenu vraiment ce raisonnement.

(Cherchez plus haut, je vous ai prévenus, la mémoire, c’est le bordel…)

 Ils ne savaient pas qu’ils étaient des chiens de garde.

 Ils s’en fichaient complètement d’ailleurs.

  Ils ne connaissaient pas leur tour de garde. Ils n’apprenaient pas le règlement par cœur.

 Je l’ai dit, plus haut, nettement plus haut. La mémoire, c’est le désordre. Mais ne vous y fiez pas trop, à ce que je dis. Je peux raconter des mensonges. Comme les autres auteurs.

 

Attention ! Passage culturel ! Danger ! (été 2011)

  Les mensonges, en littérature, ça s’appelle de l’imagination.

  Quand il n’y a pas de mensonges, c’est qu’on écrit comme à l’école. On n’est pas un vrai créateur ! On écrit toute sa vie des rédactions, parfois même au passé simple.

On n’écrit pas, on rédige.

 Aujourd’hui, en 2012, c’est encore pire : on « produit » un texte. L’homme est une machine, un « robot » comme le disait, très prophétique, Georges Bernanos : « La France contre les robots ». Bernanos croyait en l’humanité, même s’il en mesurait toute la saloperie.

 Il croyait que l’humanité est susceptible d’amélioration.

 Quand on le compare aux pantins, aux gangsters, de la télévision d’aujourd’hui, on est fier de savoir qu’il est inhumé dans le département de l’Indre.

 A Pellevoisin (36) exactement.

 François Mitterrand avait fait le voyage exprès, depuis Châteauroux pour aller se recueillir sur la tombe de Bernanos.

 Même si Bernanos n’aimait pas Pellevoisin. Il avait sûrement ses raisons.

Aucun Lycée de la région ne porte son nom.

Il n’est donc pas déshonoré.

Il a refusé trois fois la Légion d’Honneur.

Il a refusé l’Académie Française.

Malgré l’insistance de De Gaulle.

 Georges Bernanos rayonne, seul, dans cette clairière de l’intelligence et de l’humanité, qui est située au nord ouest du Berry. Je vous ai donné tout ça en vrac.

  Je retourne aux chiens. Ils sont installés au pignon de l’ancienne bergerie.

 Ils discutent entre eux.

 Ils abordent des problèmes essentiels, pour l’époque, comme les questions alimentaires.

 Les chiens ne sont pas bêtes, loin de là !

 Mais ils ne savent pas qu’on a perdu la guerre. Ils ne lisent pas les journaux, ils n’écoutent guère la radio. Du moins, à l’époque.

 Les chiens, on pourrait croire qu’ils ne s’intéressent à rien, mais ils ne perdent jamais aucune guerre.

  Les chiens ne savaient pas ce que c’était qu’un Allemand. Ni qu’on appelait les Allemands des Boches, des Schleus, des Fridolins, des Doryphores. Que savaient-ils exactement, les chiens ? Ils ne s’intéressaient pas à la politique.

 En 1942, les chiens mangeaient les restes des repas, dans une gamelle, et ils rongeaient des os. Aujourd’hui, ça les rend malades…il leur faut des os en caoutchouc.

 C’est ce que pensent les hommes.

 Parce que les hommes se sont ramollis.

 Ils croient que tout est en caoutchouc.

Les hommes ont un sexe en caoutchouc.

 Henri Michaux écrivait déjà : « Leurs cathédrales ont la flèche molle ».

Les poètes s’expriment par métaphores. C’est bien plus joli. Henri Michaux aurait pu écrire : « leurs bites sont molles ». Mais « cathédrales, c’est plus exact.

A cause du mot « flèche ».

 Les chiens sont de grands amoureux. Quand ils s’accouplent, souvent ils ne peuvent plus se détacher. C’est de la fidélité.

Les êtres humains se désaccouplent  beaucoup plus facilement.

 C’est de l’inconstance.

On cite cependant des cas où l’amour les a soudés entre eux. Il faut alors les conduire à l’hôpital ou chez un vieux mécanicien qui connaît encore les méthodes anciennes.

 Ou aux urgences.

Pour eux l’amour est une maladie qui nécessite une intervention chirurgicale.

  Je me pose parfois la question suivante : on ne dit pas un « berger allemand ». On dit « un chien loup ». En 1942. C’est peut-être un nom de code. Les chiens sont des clandestins, d’ailleurs ils n’ont pas de carte d’identité.

 Des « sans papiers » ? Des faux papiers ? Ou alors on ne veut pas leur faire de la peine, aux chiens.

   Plus tard, Léo Ferré va inventer la première chorale de Chiens.

 Vers 1953.

  « Le chien qu’on prend comme un ami quand il ne reste plus personne… »

  Léo Ferré est en réalité un chien et d’ailleurs il le dit lui-même…

 

Aujourdhui maman est encore morte…  (15 mai 1981)

  J’ai reçu un télégramme de l’asile…

 C’est la première phrase de l’Etranger d’Albert Camus avec un mot surnuméraire. C’est aussi l’un des meilleurs livres du 20ème siècle, et encore, en 2011, la meilleure vente de Gallimard.

 

Le surlendemain, (donc le 7 juillet 1942)

  Les Anciens Combattants, ceux de la guerre de 14, portent de longues moustaches qui sont, d’après eux, la preuve de leur courage.

Ils les lissent avec application, pour qu’elles brillent encore davantage ! Certains ajoutent des paillettes et de la brillantine.

La brillantine s’appelle Roja.

C’est un produit Bourjois, avec un « j » comme « joie » dit la publicité à la radio.

Je me dis : « Qu’est-ce qu’on doit se marrer, à la guerre de 14, en se lissant les moustaches avec la brillantine Roja !...avec un « j » comme joie »…

J’oubliais alors que la guerre de 14, les Vieux l’avaient déjà faite ! On n’allait pas recommencer la même, les Boches se seraient foutus de notre gueule !

  Les Anciens Combattants portent aussi un jugement très défavorable sur les galopins de cette guerre de 1939, qui ne s’appelle pas encore 39-45. Normal,  puisqu’on ne sait pas quand elle va finir. Les Anciens Combattants ont enfilé des pantalons aux couleurs sombres et, souvent des sortes de blousons.

 Noirs, les blousons. Et avec des côtes.

 C’est parce qu’ils sont plus vieux. Ce sont des sages et un sage ça ne s’habille pas en couleurs.

 Les Anciens Combattants vivent en noir et blanc. On ne peut pas leur reprocher.

Plus tard, ils passeront au sépia, mais jamais à la couleur.

Sauf sur les cartes officielles que les bandits qui sont cause des guerres, feront imprimer pour égayer un peu l’ambiance des tranchées. Pour tromper le peuple.

(Ici, je mélange sûrement « la Butte rouge » avec une autre chanson honteusement antimilitariste, la « Chanson de Craonne » par exemple…)

 Les Nouveaux Combattants n’ont pas été foutus de finir la guerre. Ils se sont arrêtés avant la fin de la partie. Alors ils s’habillent en couleur. Ils ne méritent pas le noir et blanc. Ce sont des combattants fantaisistes.

 Des combattants d’opérette. On les appellera comme ça plus tard. De toute façon, je ne sais pas ce que c’est, une opérette.

Mais je verrai bientôt « Si Versailles m’était conté » de Sacha Guitry. Et la « Route fleurie », avec Georges Guétary. Mais là, on sait que c’est un spectacle. Les morts ne sont pas vraiment morts.

  Alors que les Nouveaux combattants sont des guignols, voilà ce qu’on voit dans ces histoires là ! Leurs morts sont des vrais cadavres, mais pas suffisamment nombreux.

 En tout cas, ce sont des amateurs. Des menteurs ? D’ailleurs ils portent des blousons bleus.

 Ca se voit que c’était du cinéma, leur guerre. Ils auraient même mérité qu’on les revêtît de chemises à fleurs.

 Leur guerre n’a pas vraiment eu lieu, puisqu’il n’y a pas de vrai armistice à fêter…C’est les Alliés qui ont fini la guerre.

 Les Alliés, c’est les bons.

 Ils tuent bien, ils violent bien, et pour notre compte à nous. De temps en temps, mais les victimes ne leur en veulent pas, ils tirent sur les ouvriers qui vont au travail. A Billancourt, par exemple.

 A Drancy. Au Havre.

 Les ouvriers sont très contents de mourir pour la France et de souffrir aussi, et si possible en râlant.

 Ils ont été massacrés par les Alliés. C’est tout de même autre chose que d’être zigouillé par un Boche !

Ils s’écroulent en criant « Vive la France ! »

 Ils pensent peut-être qu’ils iront au paradis ?

 

 7 Juillet 1942 (fin de journée)

  Les anciens Nouveaux combattants sont un peu jaloux, mais rien de grave. Ca les rachète, en somme. Car, ça ne se voit pas qu’ils sont des combattants, les Nouveaux. Ils n’ont pas creusé de tranchées. Ils ne sont pas mutilés. Ils n’ont pas des belles gueules cassées comme on voit sur les affiches de la loterie nationale.

 C’est ce qu’on dit à Saint Marmentin par Ysoldun, Zone et Loir. Et sûrement dans pas mal d’autres bourgs, et même dans les villes. Cette adresse truquée est un message pour Radio Londres.

 La vie est une loterie.

 Quand la loterie est nationale ça permet de gagner une gueule cassée. Il en existe de nombreux modèles, tous différents.

 C’est même le gros lot, la plus belle gueule cassée ! Il n’y a pas de vraies gueules cassées parmi les Nouveaux Combattants !

 Ils n’avaient pas de baïonnettes, les nouveaux.

 Dès les premières rafales de mitraillettes, ils ont détalé en courant comme des lapins.

 Vers la mer.

 Vers le sud. Comme s’ils étaient venus à la guerre pour y passer des vacances !

 Ici, je parle en langage d’aujourd’hui. Les vacances, ça n’existait pas en 1942. On disait encore « les congés payés ». Comme en 1936.

C’est ce que rapportent les Anciens Combattants de la guerre de 14 : les Nouveaux ne les valent pas ! Et de loin !... Ils n’ont même pas eu le courage de leur enfoncer des baïonnettes dans leur gros ventre de Prussiens ! C’est dire leur malhonnêteté.

  Pourtant un Boche c’est mou, ça bouffe que du cochon. Il y a plein de tripes à l’intérieur. Des tripes sales. Des tripes de cochon. Les Nouveaux combattants ont eu peur des tripes molles de ces cochons de Boches !

 Les Anciens combattants marchent en bombant le torse, sur lequel ils se sont accrochés des médailles. Les Nouveaux combattants marchent la queue basse et ils ne s’y sont pas accrochés de médailles.

  Les femmes qui font la queue, justement, aux épiceries, font la gueule en même temps. Elles insultent les Nouveaux combattants. Mon père les a vues, à Limoges, où on l’avait envoyé pour le « maintien de l’ordre ». Sans les gendarmes, les femmes ne savent pas maintenir l’ordre.

« - Elles se crêpaient le chignon, » qu’il disait, mon père.

Avec ces nouveaux gendarmes, elles pouvaient se défouler, par les insultes, au moins :

 « Vous n’avez pas été foutus de les arrêter, les Boches. Ils pourraient nous baiser, là sur le trottoir, devant vous, comme ils veulent. Seulement ils sont bien élevés, eux… »

 Ils ont de l’éducation !

Et de la bonne !  Pas les petites conneries qu’on apprendra plus tard. Du genre « Qui vole un œuf, vole un bœuf ! »

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commentaires

O
J'ai spécialement été sensible au passage intitulé : "Attention ! Passage culurel ! Danger !". Il me semble mettre le doigt sur la fin annoncée de la littérature qui ne peut survivre sans<br /> imagination. Notre époque est cruellement littératuricide. Pas très beau le néologisme mais révélateur, non ? OLE
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