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21 juillet 2012 6 21 /07 /juillet /2012 09:32

Les femmes qui font la queue, justement, aux épiceries, font la gueule en même temps. Elles insultent les Nouveaux combattants. Mon père les a vues, à Limoges, où on l’avait envoyé pour le « maintien de l’ordre ». Sans les gendarmes, les femmes ne savent pas maintenir l’ordre.

« - Elles se crêpaient le chignon, » qu’il disait, mon père.

Avec ces nouveaux gendarmes, elles pouvaient se défouler, par les insultes, au moins :

 « Vous n’avez pas été foutus de les arrêter, les Boches. Ils pourraient nous baiser, là sur le trottoir, devant vous, comme ils veulent. Seulement ils sont bien élevés, eux… »

 Ils ont de l’éducation !

Et de la bonne !  Pas les petites conneries qu’on apprendra plus tard. Du genre « Qui vole un œuf, vole un bœuf ! »

 Elles avaient des regrets dans la voix. Elles leur en voulaient un peu, aux Boches, d’être si bien élevés. On leur avait promis des grosses queues. Comme on voit sur Internet.

Des engins à se défoncer le bas du bide !

 C’est bien à Limoges, durant l’été 40 que mon père a entendu ça. Il n’est pas vexé. Il est content d’être vivant. On l’a déguisé en gendarme, mais c’est provisoire.

 Il va rentrer chez lui, et il ne les verra plus, ces mégères.

 Il en verra d’autres, ça change.

 

5 Juillet 1942 (retour en arrière)

  Cependant, on est le 5 juillet 1942, il y a les prisonniers, on leur envoie des colis parce qu’en Allemagne ils mangent mal.

 C’est eux qui le disent. Ils sont difficiles.

 Pas d’appétit…

 Si ça se trouve ils s’empiffrent des saucisses, entre deux gretchens… La nourriture des Boches est grossière. Les gretchens sont vulgaires. Elles se font baiser par n’importe qui, n’importe comment, n’importe où. Elles sont chaudes, disent les Anciens.

 Trop chaudes même. Elles brûlent quand on les baise.

 C’est le bouif qui dit ça.

 Il dit qu’il en a baisé beaucoup, des gretchens. Je l’entends, mais je ne comprends rien.

 J’ai quand même l’impression qu’il se vante de quelque chose.

 Le 5 juillet 1942, c’est mon premier grand souvenir et il est très décousu. Il est en loques. Avant, j’ai eu des images. Elles étaient fixes. Mais le 5 juillet 1942, on a les mouvements dans les souvenirs. Sûrement parce que c’est du théâtre. En tout cas, c’est un progrès.

 Aujourd’hui, je dirais que les choses se déroulaient ainsi.

 Toutes les personnes en bon état (on parlait de cette façon, on disait : « Il est en bien mauvais état ! ») participaient à la préparation du spectacle pour les colis des prisonniers. Je croyais qu’ils allaient faire les colis sur la scène. Je voyais des gens s’affairer dans tous les sens, une grande agitation. Mais je ne savais pas le dire. C’était du cinéma muet, ou presque.

 Seules, les bêtes parlaient dans leur langage de bêtes.

 Les parfums, les odeurs manquent aussi. Ce sont des souvenirs sans odorat.

 Des souvenirs sans saveur également. Quel goût avaient les choses qu’on mangeait ? Je le saurai plus tard, deux ou trois ans plus tard. Le tilleul, le purin, les lilas, les sureaux…ça, c’est des vrais parfums, pas trafiqués.

L’odeur du crottin de cheval, c’est même noble. A Auteuil, du moins. Boris Vian le dit dans une chanson intitulée : « J’suis snob »

 

Attention ! Culture !  (1er novembre 2011)

 Plus tard encore, je comprendrai que le fumier c’est « l’humus originel ».

Tous les grands hommes sont nés dans le fumier.

Les petits aussi.

Et probablement les moyens.

Mais beaucoup plus tard. (à propos de l’humus originel, quatre lignes, vous pouvez sauter quatre lignes merde ?)

Je serai grand, c'est-à-dire vieux. J’aurai devant moi la dernière ligne droite : la Mort. C’est ce qui pousse à écrire. La Mort est une femme, équipée d’une faux. Elle vous attend. Elle est vraiment très ossue.

 Encore plus que Gisèle Halimi.

Elle est moins jolie qu’Isabelle Alonso. Mais Isabelle est équipée d’une dentition dangereuse. Il faudrait pas qu’elle attrape Strauss-Kahn. Je sors pas du sujet, j’actualise.

Il y en a une très belle, une image de la Mort, dans la mythologie, pour ceux qui n’aiment pas sucer les os. Je ne l’ai pas retrouvée…

 Une bien en chair. Avec un sourire aguicheur.

 Une femme facile.

La devise de Van Gogh, c’est : « Ne t’accommode pas de ce qui est facile ».

Je l’avais adoptée sans le savoir, mais j’ai été content de lire que c’était une phrase de Van Gogh.

 

La mort buissonnière  (11 avril 2012)

Je sais que j’ai peur de la Mort.

Une peur panique.

Charles Quint s’est entraîné à dormir durant des années dans son cercueil. Dans « Ulysse » de James Joyce, le héros de l’histoire assiste à l’enterrement d’un certain Dignam. Le caractère prosaïque de la mort lui apparaît dans la proximité des vivants : « Un âne se mit à braire », écrit-il. Et si l’âne n’était pas catholique ? Ce serait un blasphème !

Heureusement tous les ânes sont catholiques ! Et bons catholiques ! Bien plus que les hommes  qui se réclament de cette religion ! Et d’une honnêteté intellectuelle parfaite!

 Et comme il est claustrophobe, Joyce, ou plutôt le personnage qu’il a créé, Léopold Bloom, envisage un système de tuyauterie qui lui permettrait de respirer de l’air pur, bien nettoyé par Monsanto. Un tuyau sortirait du tombeau et s’élèverait à environ trois mètres de hauteur.

Je suis sûr que le téléphone lui aurait plu.

 Surtout le portable qui prend les photos en même temps.

 Hélas, l’expérience montre que les morts, surtout ceux qui n’ont pas connu les nouvelles technologies, sont incapables de composer un numéro. Il faudrait aménager une « présence verte ». Le mort-vivant, dès qu’il a conscience d’avoir été victime d’une erreur, ou d’une plaisanterie de mauvais goût, par exemple qu’il a été enterré en bonne santé, se débat, gesticule, et il finit toujours par déclencher la présence verte !

 Pourtant, c’est la vie qui fait mal !

 Mais je me souviens du 5 juillet 1942.

 Les enfants récitèrent des textes. On disait des « monologues ». Ils les avaient appris par cœur et ça faisait rire. Mon frère aîné par exemple obtenait un beau succès avec ce texte !

 

L’inauguration du lavoir de cheux  nous

Je me souviens seulement de quelques vers, je les rapporte aujourd’hui, en 2012 :

Un pompier pleurait dans son casque

C’était beau mais c’était triste

Ca se passait en 1870

 On m’a dit :

 Les applaudissements crépitaient, les rires fusaient. Ces deux verbes m’étaient inconnus.

 Je m’interroge aujourd’hui sur les causes de ces deux phénomènes.

 Le caractère inattendu de la rime ? Le pompier ? Si les pompiers pleurent comme des gonzesses, sont-ils capables de maîtriser les incendies ? Et le casque, à quoi il sert, le casque ? C’est pas un récipient.

D’abord il faudrait dire un « lacrymatoire ». C’est bien trop compliqué.

Ou une « urne funéraire ».

Mais les électeurs croiraient qu’ils peuvent tuer les candidats aux élections et ils seraient déçus ensuite.

Aujourd’hui, je ne sais pas si c’est parce qu’on les reconnaissait, les enfants, qu’on les voyait vivants, dans un rôle inhabituel. On aurait dit des « chiens savants » mais je ne connaissais pas l’expression.

 Dans les années 1920, une ligue contre l’utilisation des chiens dans les cirques s’est constituée. C’est une femme qui avait eu l’idée. Les femmes aiment les bêtes plus que les hommes, c’est pourquoi, ils sont tous cocus, les hommes.

 L’un des premiers adhérents de cette ligue fut Louis Ferdinand Céline.

 Et vous ne voulez pas me croire ! Vous pensez que Céline est foncièrement mauvais, et pas humain pour un sou ! Savez-vous que lorsque son grand amour, Elisabeth Craig, a quitté en douce, le domicile de la rue Girardon, dans le 18ème arrondissement de Paris, Céline a voulu la retrouver ? Et il l’a retrouvée.

 Aux Etats-Unis. Vous feriez le voyage, vous ?

 Il essayé de la convaincre de revenir et elle a pas voulu.

 Céline a été très malheureux. Alors il a écrit : « les sentiments c’est fait pour les caniches, et moi, j’ai ma dignité. »

 Erreur donc: Ferdinand (je le connais bien, on s’appelle par nos prénoms) a écrit des choses désagréables pour certains, je ne dirai pas qui, sinon je vais m’attirer des histoires avec les Juifs et les gens ne lisent pas les grands textes, sinon ils sauraient que c’est Georges Bernanos qui a écrit le livre le plus antisémite : « La grande peur des bien pensants », qui est l’éloge de Drumont, auteur de « La France Juive » et animateur de « La libre parole ». Ils iraient même jusqu’à découvrir que dans sa correspondance avec Flaubert, la Georgette (George Sand) écrit : « Ah ! mon pauvre Flaubert, nous sommes enjuivés ! » Les gens, le grand public, les petits lecteurs je veux dire, évitent de lire, c’est à cause de leur bonne conscience.

  Ils prennent trois douches par jour, mais les douches, ça ne lave pas le Mal qu’ils ont à l’intérieur, et ça pompe les nappes phréatiques.

Je reviens aux enfants déguisés pour la pièce destinée aux prisonniers.

 Et puis il y avait eu tant de morts, qu’on devait les considérer comme des petits rescapés ?

 Ou des futurs Anciens combattants qui assureraient la relève, et ça faisait plaisir de savoir qu’on n’avait pas tout perdu. 

 Qu’on s’étriperait encore, plus tard, et sûrement toujours.

 A vrai dire je ne connaissais pas grand-chose. Un peu quand même. Je ressentais  des impressions. Je commençais ma vie de petit con ordinaire. Et ça partait plutôt bien.

  Comme tout le monde.

 « Con », ça ne se disait pas encore, pour les enfants.

Les Prisonniers, on connaissait bien le mot.

  Mais il n’évoquait pas grand-chose. Ils n’étaient pas en prison. Pas évadés non plus.

 Les prisonniers, c’étaient des gens absents, qui auraient dû être là, mais je ne les avais jamais vus. Ils ne répondaient pas « présents », au moment de l’appel.

 Je ne crois pas qu’il y ait eu un appel…Sauf le jour de la mobilisation générale, mais ça, c’est avant la guerre.

  Il y avait beaucoup d’absentéisme après la guerre, en juillet 1940. C’est ce qu’on dirait aujourd’hui, en 2012. Et je ne compte pas les morts et les disparus.

 Et combien de tricheurs, qui se faisaient passer pour morts et qui menaient la grande vie dans les bordels de campagne, à Saïgon ou ailleurs?

 Vers 1946, j’ai pensé que les prisonniers faisaient la guerre buissonnière.

 D’autres disparaissaient et on ne les retrouvait pas. Je me demandais si on cherchait vraiment.

 (J’ai retrouvé la date exacte de ce souvenir, grâce à un organisateur de cette journée, qui comportait un programme, rédigé avec une grande précision.

Et gratuit, en plus. Je le remercie comme on disait à l’époque « du fond du cœur »)


Les non travailleurs télécommandés (15 juillet 12. 10h34m)

J’ai aperçu, à 10h34 exactement, un travailleur de l’Equipement qui télécommandait sa faucheuse le long du talus de la RN 156, qui va de Châteauroux à Levroux, et même un peu plus loin si on insiste !

Je lui ai fait observer qu’il aurait dû être sur le siège de son engin ! Il m’a répondu : « Grand père vous n’êtes pas dans le coup » et j’ai répondu et du tac au tac : « Tu télécommandes aussi ta bite ?...et ta gonzesse elle a un ordinateur dans le gosier pour la musique du plaisir … »)

Il m’a répondu honnêtement : « même la digestion est automatique et télécommandée, sinon on pourrait pas avaler la merde qu’ils nous fabriquent… »

J’ai fait la paix avec lui : « t’as raison, plus tu seras mou, plus tu seras facile à enculer ». Il s’est plongé alors dans une méditation profonde.

 Il y est encore et il 11h54m.

Je sais que je passe du coq à l’âne. Mais ce sont deux animaux que j’aime beaucoup. Et puis la vie passe du coq à l’âne.

C’est à l’école ensuite qu’on a envie d’y mettre de l’ordre. On écrit une introduction, on annonce un plan et on arrive à une conclusion.

Les profs adorent ça.

Pourtant c’est un mensonge organisé.

La vie n’est pas une rédaction.

Pas une composition française.

La vie est en miettes, comme le dit Eugène Ionesco.

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