Vous savez ce que c’est, les profs : des types chiants, qui croient tout savoir ! Qui ne peuvent pas s’empêcher de jacter (d’un mot d’ancien français, « jacqueter » : jacasser comme un perroquet. Ici c’est ironique je dis ça pour ceux qui ne sont pas du peuple et qui parlent du peuple !) sans arrêt ! Parce que prof, c’est pas une profession c’est un état. Une maladie psychiatrique grave. Je suis atteint. Alors je vais parler du peuple, de la presse people et du populisme. Et puis ne m’interrompez pas, sinon ça va chier !
Je l’ai fait exprès, bien sûr, pour donner la tonalité. Parce je suis vraiment du peuple et, en plus, de la campagne. Deux tares incurables !
Je vais parler de cette dégénérescence des mots, de cette décadence du langage, de notre société en général, qui fait que la presse prend les gens du peuple pour des cons, et spécialement en politique. C’était pourtant annoncé depuis longtemps par Georges Orwell, mais les journalistes politiques n’apprennent pas la langue française. Ils apprennent la communication. Ce sont donc des menteurs par définition, dès le départ. S’ils ne sont pas menteurs, ils sont ignorants et c’est encore plus grave.
Le mot « peuple » est aujourd’hui très difficile à définir. C’est François Cavanna qui le dit, un fils d’émigrés italiens, très doué, un des plus grands écrivains du 20ème siècle, et qui s’est instruit tout seul, après la classe de troisième. Il a créé le journal « Hara-Kiri » avec le professeur Choron, fils du peuple, élevé près de la maison maternelle, une maison de garde barrière SNCF, et il s’est engagé dans l’armée, pour échapper à son destin. Ces types-là méritent l’admiration des gens du peuple. Et ils l’ont obtenue, parce qu’ils aimaient le peuple et parce que c’étaient des hommes libres. Le peuple ?
Je cite Cavanna : « le peuple aujourd’hui est malaisé à décrire…il y a le pauvre qui a un emploi, même précaire, il y a le chômeur sans espoir, le « coloré » des banlieues dépotoirs, il y a le clandestin… »
Or, en 2011, des salonnards de plateau de télévision, souvent classés à gauche, emploient le mot « populisme » sur un ton méprisant: les gens atteints de populisme seraient des fachos contaminés par le Front National ! Tiens donc !
Le populisme est une école littéraire née à la fin des années 20, et qui préfère « les gens du peuple comme personnages et les lieux populaires comme décor. »
L’écrivain Jean Vautrin défend le populisme, qui est dans la lignée de Hugo, Zola et Jules Vallès. Il ajoute cette phrase significative : « La mode actuelle consiste à écrire sur son nombril…la barbarie dans laquelle nous vivons devrait pourtant nous inciter à nous pencher sur les questions sociales ».
Le Prix Populiste, fondé en 1931, et attribué pour la première fois à Eugène Dabit pour « Hôtel du Nord », le fut ensuite à Romain Rolland, Jean Paul Sartre, Bernard Clavel, Louis Guilloux…autant dire pour des écrivains de gauche ! Tombé en désuétude à la fin des années 70, il renaît, grâce notamment à Jean Vautrin, au début des années 80. Si je vous dis que le jury est notamment composé de François Cavanna, d’Alexandre Astruc, de Gérard Mordillat, de Wolinski…serez vous enfin convaincu ? Le populisme est la littérature du peuple. On ne méprise pas le peuple et j’en donne un exemple. Voici comment parle Cavanna dans Hara Kiri, à propos des vieux :
« …un beau matin, le concierge de l’hôpital trouve sur le seuil un petit panier avec le vieux dedans. Parfois, il y a une mare autour. Toujours il y a un petit mot d’écrit épinglé sur le bavoir…on met le vieux dans la salle des vieux, près de la morgue, et on rend le panier au marchand de fraises pour récupérer les vingt francs de consigne… »
Ces « excès » de langage constituent évidemment une provocation à l’intelligence. S’imaginer que les personnes âgées ne vont pas comprendre, c’est les prendre pour des imbéciles. Ca veut dire qu’on les méprise, alors qu’ils sont très conscients de leur malheur, dû au grand âge, souvent à la maladie, et à la scandaleuse façon dont ils sont humiliés, quand ils sont pauvres ! On doit les honorer en les prenant pour des hommes qui réfléchissent et qui sont abandonnés. Quand j’ai écrit « l’Histoire de Marie », dont Jacques Devaux a si bien rendu compte dans ce supplément « Culture », je me souviens que Marie répétait volontiers : « Il faut prendre les choses à la dérision, il faut éviter de gémir sans arrêt ! » Elle avait raison, Marie : la dérision est une arme. Elle m’a reconnu tout de suite comme un petit frère.
Maintenant, venons-en à la littérature, à la presse « people ». « Nous sommes submergés par la littérature people », dit Jean Vautrin. Il s’agit de la presse à scandale, de la presse à sensation, dont le but est de détourner le peuple des vrais problèmes qui l’accablent. Elle a gagné les milieux politiques à tel point que les aventures de Carla Bruni constituent des « nouvelles » essentielles, comme l’histoire de Lady Di. La presse people s’appuie également sur les faits divers les plus horribles. Quand Mr Sarkozy se répand sur la tragédie d’une jeune femme assassinée et découpée en morceaux, c’est du people. Et c’est du pipeau ! Il n’en a rien à foutre, de cette femme, il veut renforcer les mesures de police ! Il utilise le malheur d’une jeune victime pour justifier sa politique qui fait des malheureux et des morts tous les jours. Il ne cherche pas à expliquer le pourquoi des choses, à faire de la prévention, parce qu’il en a besoin, de ces crimes horribles ! La même presse people (en Anglais le mot désigne « les gens », sans dépréciation particulière), et même les Américains, qui connaissent une « contre culture » florissante ( Kérouac, puis Henry Miller, puis Fante et Bukowski) se moquent de nos penchants infantiles !
On ne fait pas partie de la presse people, alors on doit laisser parler les « populistes » et les réhabiliter. Sinon, à quoi sert-on ?