Lors de l’émission de Ruquier « Dans tous les sens » sur France-Inter (10 décembre) Pierre Perret était invité à lancer son CD « La bête est revenue ». Très bien. Seulement, gueuler contre Le Pen, ça évite aussi de se demander pourquoi Le Pen existe et comment Tonton l’a inventé, à la grande joie des dirigeants de la gauche (1) qui peuvent enfin bouffer gratos dans les palaces. Chacun son tour.
Passons sur ce bizness et arrivons aux choses plus sérieuses. Cette même émission donnait l’occasion de frapper à bras raccourcis sur Céline. Seule, Claude Sarraute prit sa défense. Ce ne serait qu’un « détail » si les mensonges ne s’abattaient en ce moment sur l’auteur français qui a été à l’origine des plus radicales prises de conscience anti- guerrières de nos contemporains.
Mais pour comprendre Céline il faudrait d’abord le lire. Or, ce n’est pas en traînant son cul d’un plateau de télévision à l’autre qu’on a le temps de s’instruire. On peut grappiller dans l’œuvre foisonnante de Céline des citations auxquelles on pourra faire dire n’importe quoi. Lui-même a parfois dit « n’importe quoi » mais pas n’importe comment. La jubilation célinienne est un langage poétique prodigieux, une provocation géniale, et Céline est une grande gueule, à l’opposé exact des « têtes molles » des médias, aux ordres des pouvoirs qui défilent.
On pourrait presque dire que la guerre, quelles qu’en soient les prétendues raisons, est la grande préoccupation de Céline. Les pamphlets eux-mêmes sont des pamphlets pacifistes. Allons ! Céline n’a pas fait massacrer ses contemporains ! Contrairement aux chefs d’Etat, dont les plaques commémoratives fleurissent pourtant à tous les coins de rue. Et il est scandaleux que dans un pays où la presse est dite « libre », un citoyen adulte n’ait pas le droit de lire les pamphlets de Céline, dont certains étaient autorisés en 1938 ! Et d’autres interdits par Pétain !
Quant à la participation de Céline à la presse de Vichy, on relève exactement 35 interventions, parmi lesquelles deux répliques dont il exige l’insertion. Deux textes sur des sujets sans rapport avec la politique. 25 lettres, 3 interviews, deux réponses à des enquêtes, une signature de manifeste, trois citations de comptes rendus d’interventions orales publiques. Céline s’est adressé 7 fois au « Pilori », 6 fois à « Je suis partout », 4 fois à « La Gerbe », 4 fois à « L’Appel », 3 fois à « L’Emancipation nationale » (2).
Dans tous les cas, il s’agit d’interventions non rétribuées, comme il avait refusé de se faire payer son voyage en URSS, d’où il revint, seul dénonciateur du stalinisme parmi les auteurs de l’époque.
Perret ironise sur Céline-médecin des pauvres. Accepterait-il, lui, Pierrot, de gagner aussi peu de fric sur le dos de Ferdinand avec sa chanson sur Céline, que Ferdinand accepta d’en gagner sur ses clients insolvables (3) ?
Il va falloir changer de vie, Pierrot. Et oublier les livres de recettes, les ouvrages pour enfants, les « dictionnaires d’argot » (Ah ! l’argot de Céline, à côté !) et les grands crus, sans parler des pubs juteuses à la télé.
Tiens, pour ceux qui souhaitent encore s’instruire, c’est le moment d’acheter « l’Année Céline 1997 », qui relate tout ce qui s’est dit sur Céline au cours de la période. On peut la commander au Bulletin Célinien, par exemple (4).
P.S: Céline a entretenu avec les pacifistes, et en particulier Lecoin, une correspondance, sur la question de la paix. Exemple, cet écho paru en Février 1950 dans «Défense de l’Homme». Il n’était pas seulement lucide, Petit Louis, il était sacrément gonflé, car en février 50, Céline était l’écrivain maudit, interdit de parole, toujours en exil au Danemark. Il avait écrit à plusieurs reprises à Lecoin, qui égara parfois son courrier, et notamment cette lettre qui se terminait par « Vive l’anarchie, mon vieux Lecoin ! ». Raymond Rageau, grand amateur de Céline à qui je dois l’anecdote, en était tout triste.
Le même numéro (17) de «Défense de l’homme» contient un article très intéressant, d’une très grande finesse, de Jean Vita : « Céline et l’enfance ». J’en envoie volontiers la photocopie à qui le souhaiterait, parmi ceux qui ne se contentent pas des slogans et des lieux communs.
Et vive Céline ! La France visqueuse de 1999 manque de Céline.
(1) François Gerber, dans «Et la presse créa Le Pen...» Raymond Castells Editions, raconte comment le « produit Le Pen » (p.25) fut imaginé par Mitterrand, encouragé par Michel Charasse et analyse comment les médias en ont fait, presque tous, et sciemment, leur fonds de commerce.
(2) Henri Godard, préface à l’édition du volume 2 des romans de Céline dans la « Pléiade ».
(3) A l’émission de Michel Field du 13/12/98, Le Pen a droit à son heure entière de pub ! A la fin, après ce royal cadeau, l’animateur offre à Le Pen le dernier CD de Pierre Perret, bien visible sous les caméras. Décidément le Front National est un excellent support publicitaire.
(4) Le Bulletin célinien, BP 70 - B1000 Bruxelles 22 Belgique.
Rolland HENAULT (dans "Articles" volume 4 - 2001-1996)